top of page

La clause attributive de compétence asymétrique : validité et portée à la lumière de l'arrêt CJUE du 27 février 2025

  • Photo du rédacteur: Le Bouard Avocats
    Le Bouard Avocats
  • il y a 22 minutes
  • 4 min de lecture

Ce qu’il faut retenir sur la validité d’une clause attributive de compétence asymétrique


  • ✅ Une clause asymétrique n’est pas nulle en soi : elle est valable au regard du règlement Bruxelles I bis, sous réserve de conditions strictes.

  • 📌 Elle doit désigner des juridictions d’un ou plusieurs États membres de l’UE ou parties à la convention de Lugano, et non d’un État tiers.

  • ⚖️ Elle doit prévoir des critères de compétence précis, objectifs et vérifiables, afin de garantir la sécurité juridique.

  • 🚫 Elle ne peut s’appliquer dans les domaines à protection renforcée (consommation, travail, assurance) ou de compétence exclusive (immobilier, sociétés).






Une clause asymétrique n'est pas nulle par principe : cadre juridique


Rappel du principe posé par le règlement Bruxelles I bis


L'article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit "Bruxelles I bis") reconnaît aux parties la liberté de convenir d'une ou de plusieurs juridictions d'un État membre pour régler les litiges nés ou à naître dans le cadre d'un rapport juridique déterminé.


Cette prorogation de compétence contractuelle est valable, sauf nullité quant au fond selon le droit de l'État membre dont les juridictions sont désignées.


Ce même article énonce que cette compétence est exclusive, sauf convention contraire. Il constitue ainsi une base essentielle pour la reconnaissance des clauses attributives de juridiction, y compris lorsqu'elles sont asymétriques.


La clause asymétrique : définition et difficultés soulevées


Une clause attributive de compétence est dite "asymétrique" lorsqu'elle impose à l'une des parties (généralement la partie considérée comme faible contractuellement) de saisir une juridiction déterminée, tout en laissant à l'autre partie une liberté plus grande de choix de juridiction. Cela peut notamment inclure la faculté de saisir toute autre juridiction compétente selon les règles générales du règlement Bruxelles I bis.


Ce type de clause soulève, en pratique, des questions de validité, d'équilibre contractuel et de sécurité juridique.

L'arrêt CJUE du 27 février 2025 : vers une validation encadrée des clauses asymétriques


Contexte du litige : une clause prévoyant un choix à géométrie variable


Dans l'affaire C-537/23, Società Italiana Lastre SpA (SIL), fournisseur italien, et Agora SARL, entreprise française, avaient conclu un contrat de fourniture comportant une clause de juridiction au profit du tribunal de Brescia (Italie), tout en prévoyant que SIL pouvait saisir "tout autre tribunal compétent en Italie ou à l'étranger".


La question était de savoir si une telle clause, manifestement asymétrique, pouvait être considérée comme valide au regard du droit de l'Union européenne.



Trois conditions de validité posées par la Cour de justice


Dans un arrêt attendu, la CJUE valide la clause attributive de compétence asymétrique sous trois conditions cumulatives :


1. La clause doit désigner les juridictions d'un ou de plusieurs États membres de l'Union ou parties à la convention de Lugano


L'article 25, § 1, du règlement ne limite pas la clause à une seule juridiction ni à un seul État membre. Une clause peut donc valablement offrir un choix entre plusieurs juridictions dès lors qu'elles relèvent d'un cadre juridique commun (UE ou convention de Lugano).


2. La clause doit identifier des critères objectifs et prévisibles de compétence


Le ou les tribunaux désignés doivent être déterminables de manière certaine au moment de la saisine, afin de garantir la sécurité juridique. Sont admis :


  • La désignation expresse d'une juridiction (ex. : tribunal de Brescia) ;

  • Le renvoi aux règles de compétence générales ou spéciales du règlement Bruxelles I bis (ex. : lieu d'exécution de l'obligation contractuelle).


En revanche, une clause désignant une juridiction d'un État tiers non membre de l'UE ou de la convention de Lugano serait invalide.


3. La clause ne doit pas contrevenir aux dispositions protectrices des parties faibles ou aux compétences exclusives


La clause ne peut s'appliquer :


  • Aux contrats d'assurance, consommation ou travail régis par les articles 15, 19 et 23 du règlement ;

  • Aux matières à compétence exclusive prévues à l'article 24 (ex. : droit réel immobilier, validité des sociétés).



Appréciation autonome et indépendante du droit national

Notion de "nullité quant au fond" : interprétation autonome


La CJUE rappelle que la "nullité quant au fond" mentionnée à l'article 25 § 1 vise uniquement les causes de nullité classiques du droit contractuel : vice du consentement, incapacité de contracter, etc.


En revanche, les griefs tenant à un déséquilibre ou à un manque de précision de la clause relèvent de critères européens autonomes.


Ainsi, la validité d'une clause asymétrique ne peut être remise en cause au seul motif qu'elle créerait un avantage pour l'une des parties, sauf violation explicite du règlement.


Une liberté contractuelle préservée dans le commerce international


L'autonomie de la volonté demeure un principe fondamental dans les relations d'affaires. Le législateur européen et la Cour le rappellent clairement : une clause qui semble déséquilibrée au regard d'une approche nationale ne sera pas nécessairement invalide dans un contexte transfrontalier, dès lors qu'elle répond aux exigences de transparence, de prévisibilité et de compatibilité avec le règlement.



Quels enseignements pour les praticiens du droit des affaires ?


Recommandations pour la rédaction de clauses attributives de compétence


Pour garantir la validité d'une clause asymétrique dans un contrat international, il convient de :


  • Désigner clairement les juridictions concernées, en évitant les formulations floues ("tout tribunal compétent");

  • S'assurer que les juridictions relèvent de l'Union européenne ou de la convention de Lugano ;

  • Éviter d'imposer une clause asymétrique dans les relations impliquant une partie "faible" (consommateur, salarié, assuré) ;

  • Documenter le consentement libre et éclairé des parties.


Clauses à revoir dans les contrats types


Les avocats en droit des affaires sur la ville de Versailles doivent être vigilants lors de l'utilisation de contrats standards contenant de telles clauses. Il est recommandé d'effectuer un audit de conformité à la lumière de cette jurisprudence, notamment lorsque la clause pourrait être jugée trop évasive ou inégalement contraignante.


Vers une reconnaissance encadrée de la clause asymétrique


L'arrêt du 27 février 2025 rend une décision importante pour les contrats commerciaux internationaux. Il confirme que la clause attributive de compétence asymétrique est valide, à condition qu'elle soit claire, prévisible et conforme au cadre juridique européen.


Cette décision réaffirme la liberté contractuelle, tout en imposant aux opérateurs économiques un devoir de précision et de vigilance dans la rédaction de leurs clauses juridictionnelles. Elle constitue un guide précieux pour les juristes d'affaires, avocats et entreprises dans leurs stratégies contractuelles à l'international.

bottom of page