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Acheteur d’un fonds de commerce : pourquoi régler le prix trop tôt peut engager votre responsabilité

Photo du rédacteur: Le Bouard AvocatsLe Bouard Avocats

Dernière mise à jour : 21 janv.


Tout comprendre en 30 secondes :

  • Ne versez pas le prix trop tôt : avant l’expiration du délai légal d’opposition (10 jours après la publication de la vente), vous risquez d’être contraint de payer deux fois si un créancier non satisfait se manifeste.

  • Le paiement prématuré est inopposable aux créanciers : qu’ils aient ou non formé une opposition valable, le Code de commerce (art. L. 141-17) permet de vous réclamer le montant versé trop tôt.

  • Recourir à un séquestre protège l’acquéreur et sécurise la transaction : la somme restant bloquée jusqu’à la fin du délai d’opposition, vous évitez les litiges et le risque de double paiement.


La cession d’un fonds de commerce s’accompagne d’obligations légales destinées à protéger les créanciers du vendeur. En particulier, l’acheteur doit respecter un délai strict avant de verser le prix au vendeur, sous peine de se voir réclamer, par ces créanciers, les sommes prématurément versées.


Cette règle de prudence est instaurée par le Code de commerce (articles L. 141-12 et suivants), afin de garantir la préservation des droits des tiers. Dans cet article, nous analyserons les mécanismes protecteurs mis en place, la jurisprudence la plus récente en la matière et les bonnes pratiques à adopter pour éviter tout litige ultérieur.



réglement fonds de commerce


L’obligation de publicité et le délai d’opposition pour un fonds de commerce


Un délai de 10 jours pour protéger les créanciers


Lorsqu’un propriétaire décide de vendre son fonds de commerce, la loi impose une publicité de la cession, généralement par l’intermédiaire d’un avis publié au BODACC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales) ou dans un journal d’annonces légales.


Cette formalité déclenche un délai de 10 jours dont disposent les créanciers du vendeur pour former opposition et ainsi se faire connaître. Il s’agit, en pratique, d’une étape cruciale : l’acquéreur, qui a l’obligation de respecter ce délai, se doit de ne pas payer le prix au vendeur avant l’expiration de ces dix jours (C. com. art. L. 141-14).


Pourquoi cette contrainte ?


  • Préserver le gage des créanciers : ces derniers craignent que le vendeur, une fois le prix perçu, se soustraie au paiement de ses dettes.

  • Permettre au créancier qui se manifeste, de toucher la part qui lui revient sur le prix de la vente avant que le vendeur n’en dispose librement.


Risque encouru en cas de paiement anticipé


Si l’acheteur verse une (ou plusieurs) fraction(s) du prix avant l’expiration du délai d’opposition, le paiement se révèle inopposable aux créanciers qui n’ont pas été réglés. Autrement dit, même si l’acheteur a déjà remis les fonds au vendeur, il peut être contraint de payer à nouveau aux tiers non satisfaits.


Le Code de commerce (art. L. 141-17) qualifie ce versement de “prématuré” et considère qu’il ne libère pas l’acheteur vis-à-vis des créanciers du vendeur. Cette disposition protectrice a fait l’objet de multiples validations jurisprudentielles, réaffirmant son caractère impératif.


L’action du créancier contre l’acheteur : fondements légaux


Un principe ancien, confirmé par la jurisprudence


Depuis plusieurs décennies, la Cour de cassation considère que les créanciers du vendeur d’un fonds de commerce sont des tiers au sens de l’article L. 141-17 du Code de commerce. Par conséquent :


  • Peu importe que le créancier ait régulièrement formé opposition ou non.

  • Le versement effectué trop tôt au vendeur ne s’impose pas à lui : il peut réclamer à l’acheteur le paiement direct de sa créance, dans la limite de ce qui a été versé avant l’expiration du délai.


Dans un arrêt récent du 4 décembre 2024 (Cour de Cassation. com. 4-12-2024 n° 23-15.786), la Chambre commerciale a réitéré ce principe. L’affaire concernait un acquéreur qui avait, par avance, remis une grande partie du prix au cédant.


L’administration fiscale, créancière du vendeur, a alors poursuivi l’acheteur pour obtenir le règlement de sa dette fiscale. L’opposition présentée par le fisc comportait une irrégularité, mais la Cour a jugé que cette circonstance n’empêchait pas la mise en cause de l’acquéreur, du fait qu’il s’était libéré prématurément.


Quid de la faute éventuelle du créancier ?


Certains acheteurs soutiennent que le créancier, en présentant une opposition irrégulière ou tardive, ne peut plus réclamer le paiement. Toutefois, la jurisprudence répond de manière stricte : la règle posée par l’article L. 141-17 du Code de commerce ne repose pas sur une théorie de la responsabilité civile classique, mais sur un mécanisme de garantie spécifique, sans nécessité de prouver un lien de causalité direct entre la faute de l’acheteur et la créance impayée.


Ainsi, le créancier n’a pas à démontrer qu’il aurait pu être réglé si l’acheteur avait respecté la procédure : il suffit de constater l’existence d’un versement trop rapide.



Les conséquences pratiques pour l’acheteur et le vendeur


Délaisser le séquestre ou payer directement : un choix à encadrer


Très souvent, lors d’une cession de fonds de commerce, l’acheteur remet le prix à un séquestre (généralement un avocat en droit des affaires à Versailles ou un notaire), jusqu’à ce que :


  • Le délai de 10 jours soit expiré,

  • Le séquestre ait reçu les oppositions éventuelles,

  • La distribution du prix ait été validée, chacun étant réglé selon l’ordre des privilèges.


Cette pratique assure une sécurité juridique notable. Si, en revanche, l’acheteur décide de payer directement le vendeur avant la fin du délai, il s’expose à un risque financier réel. Il peut être amené à payer deux fois, ce qui affecte sa trésorerie et complique ses relations avec l’ancien propriétaire du fonds.


L’impact sur la relation vendeur/acheteur


Du point de vue du vendeur, accepter un acompte substantiel ou un versement intégral du prix avant la fin du délai d’opposition peut sembler avantageux à court terme, en procurant des liquidités immédiates. Toutefois :


  • Le vendeur reste redevable de ses dettes envers ses créanciers,

  • L’acheteur, s’il est contraint de régler un créancier, pourrait se retourner contre le vendeur pour obtenir un remboursement ou engager sa responsabilité.


En pratique, ces contentieux nuisent à la bonne transmission du fonds et peuvent ralentir la prise effective de possession par l’acquéreur.


Étendue de la condamnation de l’acheteur : jusqu’où peut-il être redevable ?


Limite des sommes prématurément versées


Lorsque le créancier invoque l’inopposabilité du paiement anticipé, la jurisprudence admet que l’acheteur ne sera contraint de verser que dans la limite des sommes payées prématurément. Ainsi, si l’acquéreur a déjà versé 200 000 euros avant l’expiration du délai, le créancier ne peut exiger plus de 200 000 euros de sa part.


Exemple : Dans un cas récent, l’acheteur avait versé 400 000 euros sur un total de 500 000 euros avant que le délai d’opposition ne soit dépassé. Le fisc, créancier à hauteur de 150 000 euros, l’a poursuivi pour obtenir le paiement de cette somme, alors même que l’opposition présentée n’était pas régulière.

Présence d’autres opposants ou priorités légales


Si plusieurs créanciers se manifestent (sécurité sociale, administration fiscale, banques…), l’acheteur risque de se voir sollicité par plusieurs d’entre eux. Dans ces hypothèses, en l’absence de séquestre, la situation peut se révéler particulièrement complexe. Le juge statue généralement sur :


  • L’ordre des privilèges (privilège de l’administration fiscale, superprivilège du Trésor, etc.),

  • Le cas échéant, les montants préalablement attribués à d’autres créanciers opposants réguliers.


Les erreurs à éviter et les bonnes pratiques à adopter


1. Ne jamais régler le prix avant la publicité de la vente


La publicité de la cession du fonds de commerce marque le point de départ du délai de 10 jours. Verser tout ou partie du prix avant cette publication au BODACC ou dans un journal habilité vous expose immédiatement à un recours des créanciers, faute d’avoir permis leur information.


2. Respecter le délai d’opposition, même en cas d’urgence


Les opérations commerciales peuvent connaître des contraintes de calendrier, mais la prudence doit prévaloir : il s’avère préférable de prendre un rendez-vous avec un séquestre ou un conseil, qui sécurisera la transaction. Le séquestre refusera de verser le prix au vendeur tant que le délai ne sera pas écoulé, sauf à assumer le risque de double paiement.


3. Vérifier le passif du vendeur


Si vous connaissez l’identité des principaux créanciers du vendeur, il est sage d’échanger avec eux ou d’exiger du vendeur qu’il produise des attestations justifiant qu’aucune dette importante ne pèse sur le fonds. Toutefois, cette vérification ne supprime pas le formalisme imposé par la loi, puisque des créanciers non identifiés peuvent émerger.


4. Consigner le solde restant dû


La meilleure pratique consiste souvent à payer une partie du prix, équivalente à la reprise d’actif ou à la garantie de passif, avant la signature définitive, puis à consigner chez un séquestre le solde jusqu’à expiration du délai d’opposition. Cette procédure protège l’acheteur de toute action ultérieure d’un créancier insatisfait.


Illustration jurisprudentielle : le cas d’une opposition irrégulière


L’administration fiscale comme exemple récurrent


L’administration fiscale demeure l’un des créanciers les plus susceptibles d’exercer un droit d’opposition, souvent pour des impôts sur les bénéfices, la TVA ou l’URSSAF liés au fonds. Dans un contentieux récent, le fisc avait formé une opposition entachée d’irrégularités procédurales.


Malgré l’imperfection de cette opposition, le juge a condamné l’acheteur à payer le montant réclamé, car celui-ci s’était libéré de façon prématurée vis-à-vis du vendeur.

Conclusion du juge : L’acheteur ne peut se prévaloir de l’irrégularité de l’opposition pour éviter de payer la dette fiscale, car le Code de commerce prévoit que le paiement prématuré est inopposable à tous les créanciers, qu’ils aient ou non formulé une opposition valable.

Conclusion : vers une sécurisation stricte des opérations de cession


L’action du créancier d’un vendeur de fonds de commerce contre l’acheteur repose sur un mécanisme de protection légale. L’acheteur doit impérativement patienter jusqu’à la fin du délai de 10 jours pour verser le prix, sous peine de se voir poursuivre pour la dette du vendeur dans la limite des sommes prématurément réglées (C. com. art. L. 141-17).


La jurisprudence récente accentue la portée impérative de cette disposition : même en présence d’une opposition irrégulière, le versement anticipé demeure inopposable aux tiers.


Points clés à retenir :


  • Publicité de la vente : déclenchement du délai de 10 jours.

  • Interdiction de payer le prix avant l’expiration de ce délai, sous peine de devoir régler une seconde fois aux créanciers insatisfaits.

  • Inopposabilité du paiement prématuré à tous les créanciers, qu’ils aient ou non formé une opposition valide.

  • Formalisme essentiel : la consignation du prix chez un séquestre et l’attente de l’écoulement du délai d’opposition évitent des litiges coûteux.


Pour garantir une transaction sereine, le recours à un avocat ou à un professionnel du droit spécialisé en cession de fonds de commerce est plus que recommandé. De la publicité légale à l’éventuelle répartition du prix, chaque étape doit être contrôlée avec rigueur afin de préserver la sécurité juridique et les intérêts financiers de chacun.

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