Extension de la procédure collective : la confusion de patrimoines sans faute du dirigeant
- Le Bouard Avocats
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Ce qu’il faut retenir sur l'extension de la procédure collective
L’article L. 621-2 du Code de commerce autorise l’extension de la procédure collective pour confusion de patrimoines, sans exigence de faute.
La confusion est caractérisée lorsque les patrimoines ne sont plus réellement distincts : flux croisés, absence de facturation, gestion commune.
La bonne foi ou l’intention de préserver l’entreprise ne protège pas contre l’extension.
Toute relation économique entre une société et une personne physique (dirigeant, associé, tiers) doit être formalisée, équilibrée et justifiable.
Les groupes de sociétés ne sont pas à l’abri : des conventions intragroupes mal structurées peuvent justifier une extension de procédure.
Un arrêt de principe aux implications pratiques majeures
Par un arrêt du 26 mars 2025 (n° 24-10.254), la chambre commerciale de la Cour de cassation a réaffirmé un principe fondamental en matière de procédures collectives : l’extension de la liquidation judiciaire pour confusion de patrimoines n’exige pas la démonstration d’une faute du dirigeant.
Cette décision, si elle s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle, marque néanmoins un tournant par sa clarté.
Elle impose une rigueur accrue dans la gestion des relations patrimoniales entre une société et les personnes qui gravitent autour d’elle, qu’il s’agisse de dirigeants, d’associés ou de tiers impliqués.

Les faits à l’origine de la décision
L’affaire concernait une société à responsabilité limitée unipersonnelle, la société EGMM, fondée et dirigée par un associé unique. Celui-ci avait consenti à sa société un bail portant sur un atelier lui appartenant personnellement, sans jamais percevoir de loyers.
Placée en liquidation judiciaire, la société a vu son liquidateur engager une action tendant à l’extension de la procédure au dirigeant, au motif que l’absence de loyers caractérisait une confusion de patrimoines.
La cour d’appel de Saint-Denis avait rejeté cette demande en relevant que le comportement du dirigeant ne relevait pas d’une faute, sa motivation étant de préserver la survie de l’entreprise.
Mais la Cour de cassation casse cette décision, rappelant qu’en cas de confusion de patrimoines, la commission d’une faute est juridiquement indifférente.
Le cadre juridique de l’extension pour confusion de patrimoines
Une faculté expressément prévue par le Code de commerce
L’article L. 621-2 du Code de commerce dispose que la procédure collective peut être étendue à une ou plusieurs personnes en cas de confusion de patrimoines ou de fictivité de la personne morale.
Ce texte trouve à s’appliquer quelle que soit la nature de la procédure collective initialement ouverte (sauvegarde, redressement ou liquidation), en vertu notamment des articles L. 631-7 et L. 641-1 du même code.
Il s’agit là d’un mécanisme permettant de faire tomber dans le périmètre de la procédure une ou plusieurs entités, personnes physiques ou morales, lorsque leur patrimoine se trouve enchevêtré avec celui du débiteur initial. L’objectif est clair : garantir l’efficacité de la procédure collective et préserver les intérêts des créanciers. Pour ce type de problématique il est impératif de prendre conseils auprès d'un avocat spécialisé en procédures collectives et entreprises en difficultés à Versailles.
La notion de confusion de patrimoines : une construction prétorienne
La confusion de patrimoines, si elle n’est pas définie par la loi, a été précisée par la jurisprudence. Elle suppose que les patrimoines de deux entités soient mêlés à un point tel qu’il devient impossible de les distinguer.
Cela peut résulter de l’absence de comptabilité séparée, de flux financiers croisés injustifiés, d’une gestion commune sans autonomie juridique, ou encore de relations financières anormales.
Par exemple, la mise à disposition gratuite d’un bien immobilier sans loyer, en l’absence de justification économique ou contractuelle sérieuse, constitue un indice révélateur d’une confusion. La Cour de cassation l’a jugé à plusieurs reprises, notamment dans des arrêts du 1er octobre 2013, du 15 février 2005 ou du 27 septembre 2016.
Il ne s’agit pas d’exception mais d’une grille d’analyse bien ancrée dans la pratique des juridictions commerciales.
L’apport décisif de l’arrêt du 26 mars 2025
Une affirmation explicite de l’indifférence de la faute
Ce que l’arrêt du 26 mars 2025 confirme, de manière particulièrement nette, c’est que la confusion de patrimoines suffit à elle seule à justifier l’extension, sans qu’il soit besoin de démontrer un comportement fautif du dirigeant.
En rejetant l’approche de la cour d’appel, qui subordonnait l’extension à la caractérisation d’une faute, la Cour de cassation précise une distinction essentielle : l’extension pour confusion n’est pas une sanction de la faute, mais une réponse à une réalité économique.
Il ne s’agit donc pas de mettre en cause la responsabilité personnelle du dirigeant, comme dans l’action en comblement de passif fondée sur l’article L. 651-2 du Code de commerce, mais de tirer les conséquences d’un enchevêtrement des patrimoines, quels qu’en soient les motifs.
Une décision transposable à d’autres cas
Si l’arrêt vise la liquidation judiciaire d’une société, il est parfaitement transposable aux autres procédures collectives, par le jeu des textes précités. De même, il ne concerne pas exclusivement les dirigeants, mais aussi les associés, les sociétés mères, voire les membres d’un groupe économique.
Toute personne entretenant des relations financières anormales avec une entreprise en difficulté s’expose à voir son propre patrimoine absorbé dans le périmètre de la procédure, même en l’absence de toute malveillance.
Une vigilance accrue imposée aux dirigeants et partenaires économiques
Des relations contractuelles encadrées et documentées
À la lumière de cette décision, les dirigeants doivent redoubler de prudence dans leurs relations économiques avec leur société. Il devient impératif de :
Formaliser tous les actes : prêts, baux, avances de trésorerie doivent faire l’objet de contrats écrits, aux conditions de marché.
Maintenir une comptabilité distincte : toute confusion comptable entre société et dirigeant peut être retenue comme un indice.
Justifier économiquement les flux : les transferts d’actifs ou d’argent entre société et personne physique doivent reposer sur une logique d’affaires explicite.
Le dirigeant bienveillant, qui renonce à une créance pour préserver l’activité, comme dans l’affaire EGMM, prend désormais un risque considérable.
Un principe également opposable aux groupes de sociétés
La solution est également transposable aux groupes de sociétés : des flux non justifiés entre une filiale et sa maison mère, ou une absence de contrepartie dans les relations économiques, peuvent déboucher sur une extension de la procédure à la société mère.
Cela impose aux groupes une gouvernance contractuelle rigoureuse : conventions intragroupe formalisées, équilibrées, avec traçabilité et facturation, sont les garanties minimales contre le risque d’extension.
La décision du 26 mars 2025 s’impose comme un arrêt de principe. Elle met un terme à une ambiguïté : la faute n’est pas un préalable nécessaire à l’extension de la procédure pour confusion de patrimoines. Elle renforce ainsi l’exigence de transparence, de traçabilité et de rigueur contractuelle dans les relations entre les personnes physiques ou morales proches d’une société.
Pour les praticiens, cet arrêt est un signal fort. Il rappelle que dans le droit des procédures collectives, la réalité économique prime sur les intentions, et que l’absence de séparation patrimoniale, même tolérée, peut entraîner des conséquences patrimoniales lourdes.