Société en formation : reprise d’acte et dénomination sociale
- Le Bouard Avocats

- 1 sept.
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Dernière mise à jour : 4 sept.
Société en formation : validité de la reprise d’acte malgré une différence de dénomination
L’article L. 210-6 du Code de commerce permet la reprise des actes conclus pour une société en formation.
La différence de dénomination sociale n’empêche pas la reprise si la société a été régulièrement immatriculée.
La Cour de cassation limite cette souplesse aux cas où il n’y a ni dol ni fraude.
L’essentiel est la commune intention des parties de contracter pour la société en formation.
Les praticiens doivent néanmoins sécuriser les actes (annexes, mentions claires, transparence).

La création d’une société est un processus qui s’échelonne sur plusieurs étapes. Entre la signature des statuts et l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS), la société est dite « en formation ».
Durant cette période, des actes juridiques peuvent être conclus pour les besoins de l’activité future. La question cruciale est alors celle de leur validité et de leur reprise, une fois la société immatriculée.
La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 mai 2025 (Com., 28 mai 2025, n° 24-13.370), a apporté une précision importante : la différence de dénomination sociale entre celle figurant dans l’acte et celle finalement adoptée lors de l’immatriculation ne fait pas obstacle à la reprise de l’acte, sauf hypothèse de fraude ou de dol.
Le régime juridique de la société en formation
Les textes applicables
L’article L. 210-6 du Code de commerce dispose que « les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits ».
L’article R. 210-6 du Code de commerce précise les modalités de reprise de ces actes. Trois mécanismes sont prévus :
l’annexion d’un état des actes aux statuts, signés par tous les associés ;
un mandat spécial donné à un associé ou au représentant légal pour agir au nom de la société en formation ;
une décision expresse de reprise par la société après son immatriculation.
Ces dispositions permettent d’assurer la continuité juridique entre la période de formation et la vie sociale de l’entité immatriculée.
Les risques liés à la période de formation
Tant que la société n’est pas immatriculée, elle est dépourvue de personnalité morale (art. 1842 du Code civil). Les actes conclus en son nom sont alors juridiquement fragiles : la société n’ayant pas encore d’existence légale, elle ne peut être directement partie au contrat.
Ce sont les personnes physiques qui se portent contractantes, avec la perspective que la société reprenne ensuite les engagements souscrits.
L’arrêt du 28 mai 2025 : un assouplissement salutaire
Les faits de l’espèce
Une société en formation, désignée dans un bail commercial sous l’appellation « L.P.L. », avait été régulièrement immatriculée sous la dénomination « Les Petits Lascars ». Le bail avait été annexé aux statuts et mentionné dans la clause de reprise des engagements.
Pourtant, la cour d’appel avait annulé le bail au motif que la société immatriculée ne portait pas la même dénomination que celle mentionnée dans l’acte initial.
La position de la Cour de cassation
La chambre commerciale casse l’arrêt d’appel. Elle affirme clairement que la validité de l’acte passé pour le compte d’une société en formation n’implique pas que la société immatriculée ait exactement la même dénomination sociale que celle indiquée dans l’acte.Seules deux exceptions sont prévues :
le dol, lorsqu’il existe une volonté de tromper ;
la fraude, lorsque la différence de dénomination vise à induire en erreur le cocontractant.
Ainsi, sauf manœuvre malhonnête, l’acte demeure valable et peut être valablement repris par la société immatriculée.
La portée de cette solution jurisprudentielle
Une confirmation de la souplesse déjà admise
La Cour avait déjà admis que la reprise d’un acte est valable même si la société constituée ne revêt pas la forme sociale ou ne comporte pas les associés mentionnés dans l’acte initial. La décision du 28 mai 2025 étend cette logique à la dénomination sociale.
Elle confirme que l’essentiel est la volonté des parties de contracter pour le compte de la société en formation, et non la stricte identité des mentions formelles.
Les limites posées par le juge
Toutefois, cette souplesse n’est pas illimitée. La Cour réserve expressément les cas de fraude ou de dol. Cela recouvre, par exemple :
une dénomination volontairement proche de celle d’une société déjà connue, destinée à rassurer indûment le cocontractant sur la solidité financière du projet ;
une absence totale de cohérence entre la société annoncée et celle immatriculée (changement complet de dénomination, absence d’associés communs, forme sociale différente).
Dans ces hypothèses, la reprise pourrait être refusée car elle contreviendrait à la confiance légitime du cocontractant.
Les enseignements pratiques pour les praticiens du droit et les entrepreneurs
Pour les avocats et conseils en droit des affaires
Il convient de recommander à tout porteur de projet de :
veiller à ce que les actes conclus pendant la phase de formation mentionnent clairement qu’ils le sont au nom et pour le compte de la société en formation ;
annexer systématiquement l’état des actes aux statuts, afin de faciliter leur reprise ;
éviter toute ambiguïté sur la dénomination choisie, même si la jurisprudence admet une certaine souplesse.
Pour les créateurs de sociétés
Les entrepreneurs doivent comprendre que :
la société en formation ne peut pas directement contracter avant son immatriculation ;
ils sont personnellement engagés tant que la reprise n’est pas intervenue ;
le changement de dénomination sociale ne remet pas en cause la validité des actes, sauf volonté frauduleuse.
Pour les cocontractants (bailleurs, fournisseurs, partenaires)
Il est prudent de :
vérifier que l’acte comporte une mention claire de la société en formation ;
exiger que l’acte figure dans l’état annexé aux statuts ;
se montrer attentif aux éventuelles incohérences entre la société annoncée et la société effectivement immatriculée.
L’arrêt du 28 mai 2025 illustre l’approche pragmatique de la Cour de cassation en matière de sociétés en formation. Plutôt que de s’attacher à la stricte identité de la dénomination sociale, le juge met l’accent sur la volonté des parties et la continuité de l’engagement.
Pour les avocats, les dirigeants et les services juridiques, cet assouplissement est bienvenu. Il sécurise la phase délicate de formation des sociétés et rappelle que l’essentiel est d’agir avec transparence et loyauté. Toutefois, la vigilance demeure de mise : la fraude et le dol restent les lignes rouges qui privent l’acte de toute validité.
En définitive, cette jurisprudence renforce la sécurité juridique des opérations conclues en période de formation, tout en préservant la protection des cocontractants contre d’éventuelles pratiques trompeuses.


