Télétravail et titres-restaurant : la Cour de cassation érige l’égalité en principe intangible
- Le Bouard Avocats
- il y a 3 heures
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Ce qu’il faut retenir de l’arrêt du 8 octobre 2025
Les télétravailleurs ont-ils droit aux titres-restaurant ?
La Cour de cassation a rendu un arrêt de principe publié au Bulletin confirmant que les salariés en télétravail ont les mêmes droits que les salariés sur site, y compris en matière de titres-restaurant.
La solution repose sur une interprétation combinée des articles L. 1222-9, III et R. 3262-7 du Code du travail : le lieu d’exécution du travail est indifférent, seule compte la présence d’un repas dans l’horaire journalier.
Principe affirmé : le télétravailleur a les mêmes droits que tout salarié, sans distinction liée au lieu d’exercice de ses fonctions [[C. trav., art. L. 1222-9, III]].
Condition unique : un titre-restaurant est dû dès lors qu’un repas est compris dans l’horaire journalier [[C. trav., art. R. 3262-7]].
Conséquence immédiate : les employeurs doivent adapter leurs chartes de télétravail, outils de paie et politiques internes.
Risque juridique : rappel de salaire possible sur 3 ans pour les périodes de télétravail non indemnisées.
Portée générale : la décision, publiée au Bulletin, s’impose à toutes les entreprises publiques ou privées.

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu, le 8 octobre 2025, un arrêt de principe publié au Bulletin confirmant que les salariés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant dans les mêmes conditions que leurs collègues présents dans l’entreprise [[Cass. soc., 8 oct. 2025, n° 24-12.373, FS-B]].
Cette décision, qui met fin à cinq années d’incertitudes jurisprudentielles, redessine les contours de l’égalité de traitement dans le travail à distance et renforce la cohérence du régime des avantages collectifs.
I. Un arrêt de principe attendu : la fin d’un débat né de la généralisation du télétravail
1. Une controverse née du flou post-pandémique
Depuis 2020, la question du droit des télétravailleurs aux titres-restaurant faisait l’objet d’une jurisprudence hétérogène.
Certaines juridictions du fond avaient admis la différence de traitement, considérant que le salarié à domicile ne subissait pas les mêmes contraintes de restauration que celui présent sur site.D’autres, au contraire, affirmaient que le télétravail ne modifie ni le contrat, ni les droits accessoires qui en découlent.
Ce débat reflétait une tension plus large : fallait-il assimiler le télétravailleur à un salarié « ordinaire » ou lui reconnaître un régime dérogatoire ?L’absence de position de la Cour de cassation entretenait cette insécurité juridique.
2. Le litige Yamaha Music Europe, catalyseur de la clarification
Le différend soumis à la Cour illustrait parfaitement ce dilemme.Un salarié, en télétravail pendant deux ans, avait été privé de titres-restaurant alors que ses collègues sur site en bénéficiaient.
Le conseil de prud’hommes de Meaux avait estimé qu’il s’agissait d’une rupture d’égalité.Saisie par l’employeur, la Cour de cassation a confirmé cette décision : le seul critère du lieu d’exécution du travail ne saurait, en soi, justifier une différence de traitement.
Cette affirmation, simple en apparence, emporte des conséquences considérables pour la gestion des ressources humaines et des avantages collectifs.
II. La combinaison des textes : une construction juridique d’une rigueur exemplaire
1. L’égalité de droits du télétravailleur : un principe souvent oublié
L’article [[L. 1222-9, III, al. 1er]] du Code du travail dispose que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».Ce texte, issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, visait à ancrer le télétravail dans le droit commun.Or, jusqu’à présent, il demeurait largement théorique.
En mobilisant ce fondement, la Cour lui donne une portée normative concrète : le télétravailleur ne peut être exclu d’un avantage collectif sans motif objectif et vérifiable.
2. Le régime du titre-restaurant : un critère exclusivement temporel
L’article [[R. 3262-7]] du Code du travail précise que « un même salarié ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier ».
Autrement dit, la seule condition légale d’éligibilité est l’existence d’un repas au sein de la journée de travail.Aucune distinction n’est prévue selon le lieu d’exécution du contrat.
En combinant ces deux textes, la Haute juridiction rappelle que le droit à un avantage ne peut dépendre d’un élément non prévu par la loi.
L’employeur ne saurait, de sa propre initiative, introduire un critère géographique là où le législateur n’a retenu qu’un critère temporel.
3. Une publication au Bulletin à portée normative
Le choix de publier l’arrêt au Bulletin n’est pas anodin.Il confère à la décision une valeur de principe : l’égalité de traitement entre salariés sur site et télétravailleurs devient une norme jurisprudentielle de portée générale.
Les directions juridiques et RH doivent donc considérer cette décision comme un standard applicable à l’ensemble des avantages collectifs.
III. Les implications pratiques : vers une refonte des politiques internes et de la culture d’entreprise
1. Une mise en conformité immédiate des pratiques
Les entreprises doivent réviser :
leurs chartes et accords de télétravail, pour supprimer toute clause réservant les titres-restaurant aux salariés présents ;
leurs systèmes d’attribution et de paie, afin de basculer d’une logique de présence physique à une logique d’horaire.
Les contrôles URSSAF et les contentieux prud’homaux s’appuieront désormais sur ce standard d’égalité, ce qui impose une rigueur accrue dans la traçabilité des horaires et des pauses repas.
2. Le risque financier : rappels et contentieux
L’arrêt ouvre la voie à des demandes de régularisation fondées sur l’article [[L. 3245-1]] du Code du travail (prescription triennale des salaires).
Un audit interne est donc nécessaire pour identifier les salariés potentiellement concernés et estimer le coût d’une régularisation volontaire.
Au-delà du risque contentieux, cette démarche permet de préserver la cohérence sociale et de renforcer la confiance dans les dispositifs d’avantages collectifs.
3. Une cohérence à préserver avec le régime social et fiscal
L’égalité d’accès ne modifie pas le régime d’exonération : la participation patronale demeure exonérée de cotisations dans la limite du plafond fixé chaque année, sous réserve d’une participation salariale comprise entre 50 % et 60 % [[BOI-RSA-CHAMP-20-50-50-20]].Toute modulation des valeurs faciales selon le mode de travail serait contraire au principe posé par la Cour.
4. Un signal fort pour la culture managériale des organisations hybrides
Au-delà de la technique juridique, la portée symbolique de cet arrêt est majeure.En alignant les droits des télétravailleurs sur ceux des salariés présents, la Cour renforce le sentiment d’appartenance à une même communauté de travail, indépendamment du lieu d’exercice.
Cette approche favorise une cohésion indispensable dans les organisations hybrides : l’équité perçue est un levier de motivation aussi puissant que la reconnaissance financière.
L’unification du droit du travail à l’ère du travail hybride
L’arrêt du 8 octobre 2025 marque un tournant dans l’intégration du télétravail au droit commun.La Cour de cassation ne crée pas un nouveau droit ; elle rappelle que l’égalité de traitement, principe cardinal du droit du travail, demeure inaltérable quelle que soit la forme d’organisation du travail.
En érigeant le critère du repas dans l’horaire comme unique condition d’attribution du titre-restaurant, la Haute juridiction sécurise les pratiques et réaffirme une évidence :
le télétravail ne modifie pas les droits du salarié, il en déplace simplement l’exercice.
Pour les entreprises, cette clarification impose une rigueur nouvelle, mais offre en retour une sécurité juridique et sociale renforcée.
FAQ : Télétravail et titres-restaurant — tout comprendre de la décision du 8 octobre 2025
1. Que dit exactement la Cour de cassation dans son arrêt du 8 octobre 2025 ?
La Cour de cassation rappelle que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise » [[C. trav., art. L. 1222-9, III]].Elle en déduit que l’employeur ne peut refuser l’octroi des titres-restaurant au seul motif que le salarié exerce à distance, dès lors qu’un repas est inclus dans sa journée de travail [[C. trav., art. R. 3262-7]].
Autrement dit, le télétravail ne constitue ni une dérogation au contrat de travail, ni un motif d’exclusion d’un avantage collectif.L’égalité de traitement est totale, et toute différence fondée sur le lieu d’exercice serait contraire au droit.
2. Cette décision crée-t-elle un nouveau droit pour les télétravailleurs ?
Non. L’arrêt n’institue pas un droit nouveau, il rétablit la correcte application du droit existant.La Cour ne fait qu’interpréter les dispositions déjà présentes dans le Code du travail.
Ce qui est nouveau, c’est la force normative de la solution : l’arrêt, publié au Bulletin, a valeur de principe et clôt un débat entretenu par des décisions de prud’hommes divergentes depuis 2020.Les employeurs ne peuvent plus invoquer l’absence de cadre clair pour justifier des politiques différenciées selon le lieu de travail.
3. Les entreprises doivent-elles revoir leurs chartes de télétravail ?
Oui, impérativement.Toute clause réservant l’accès aux titres-restaurant aux seuls salariés présents physiquement dans les locaux doit être supprimée ou réécrite.
Les chartes, accords collectifs et règlements internes doivent désormais se fonder sur un critère horaire et non géographique.
Par ailleurs, les systèmes de paie et les logiciels d’émission des titres doivent être paramétrés pour tenir compte de l’horaire journalier et non du lieu d’exécution du travail.
Ne pas le faire expose l’employeur à des rappels de salaires ou à des litiges pour rupture d’égalité de traitement.
4. Quelles sont les conséquences financières pour les employeurs ?
Les salariés exclus du dispositif pendant leurs périodes de télétravail peuvent solliciter un rappel de salaire sur les trois dernières années, conformément à la prescription triennale de l’article [[L. 3245-1]] du Code du travail.
Ce risque est réel : la contribution patronale aux titres-restaurant est considérée comme un élément de rémunération soumis au principe d’égalité.Les entreprises ont donc tout intérêt à :
procéder à un audit des pratiques passées ;
estimer les montants potentiels à régulariser ;
mettre à jour leurs politiques internes pour éviter toute nouvelle contestation.
5. Cette décision a-t-elle une portée plus large que les titres-restaurant ?
Oui. L’arrêt s’inscrit dans une tendance plus générale de normalisation du télétravail dans le droit commun.
En affirmant que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié sur site, la Cour de cassation ouvre la voie à une interprétation extensive de l’égalité de traitement.
Ce raisonnement pourrait s’appliquer à d’autres avantages collectifs :
primes de présence ou de panier repas ;
participation à certaines œuvres sociales (cantine, mutuelle, prestations CE) ;
accès à des dispositifs internes (formations, événements d’entreprise).
Le message est clair : le télétravail n’est pas un régime d’exception, mais une modalité d’exécution du contrat.Les droits qui en découlent doivent être strictement identiques à ceux des salariés présents dans les locaux.