Un seul commissaire suffit-il pour émettre plusieurs catégories d’actions de préférence ?
- Le Bouard Avocats
- il y a 4 jours
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Ce qu’il faut retenir sur la désignation du commissaire aux avantages particuliers
Un seul commissaire suffit, même en cas d’émission simultanée de plusieurs catégories d’actions de préférence, dès lors que l’opération est décidée lors d’une assemblée générale unique.
Le rapport du commissaire devra toutefois distinguer clairement les avantages liés à chaque catégorie d’actions émises, dans des rubriques séparées.
Cette interprétation repose sur le respect du principe d’unicité de mission, posé par l’article L. 228-15 du Code de commerce, sans exiger de pluralité lorsqu’il y a unicité de l’opération.
La position a été confirmée par l’ANSA (avis n° 25-004 du 5 février 2025), qui recommande cette lecture pour plus de clarté, de cohérence juridique et d’efficacité procédurale.

Une pratique fréquente en ingénierie juridique des sociétés par actions
L’émission d’actions de préférence est un levier désormais classique en droit des sociétés pour adapter les droits des associés à des enjeux économiques spécifiques.
Permettant notamment de moduler les droits financiers, politiques ou d’information attachés à certains titres, cette technique présente un intérêt stratégique certain dans la structuration du capital, notamment en phase d’investissement ou de réorganisation.
Il n’est pas rare qu’une société procède, lors d’une même assemblée générale, à l’émission simultanée de plusieurs catégories d’actions de préférence, comportant des droits distincts et destinées à des bénéficiaires différents. Cette configuration soulève alors une interrogation juridique récurrente : faut-il désigner un commissaire aux avantages particuliers pour chaque catégorie émise, ou un seul suffit-il ? Vous souhaitez vous faire accompagner par un avocat en droit des affaires et des sociétés à Versailles ?
Le cadre légal applicable : les textes de référence
La question de la désignation d’un commissaire aux avantages particuliers est régie par l’article L. 228-15 du Code de commerce, applicable aux sociétés par actions (SA, SCA, SAS), en cas d’octroi d’avantages particuliers à des personnes dénommées.
Ce texte prévoit notamment que :
« Lorsqu’il est prévu un avantage particulier au bénéfice d’une ou plusieurs personnes nommément désignées, un ou plusieurs commissaires aux apports sont désignés pour apprécier sous leur responsabilité la nature et la valeur de cet avantage. »
L’article ajoute une restriction importante : le commissaire ne peut exercer aucune autre mission dans la société, ni être intervenu au cours des trois dernières années.
La mission du commissaire est donc exclusive, et ne saurait être cumulée avec une mission d’audit ou de certification au sein de la société concernée.
Une position claire de l’Ansa en faveur d’un commissaire unique
Dans une communication n° 25-004 en date du 5 février 2025, le comité juridique de l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) a précisé sa lecture de l’article L. 228-15 dans le cas particulier de l’émission, au cours d’une même assemblée générale, de plusieurs catégories d’actions de préférence, comportant des droits particuliers distincts et bénéficiant à des personnes nommément désignées.
Selon l’Ansa, un seul commissaire aux avantages particuliers peut être désigné, dès lors qu’il s’agit d’une opération d’émission unique, même si elle comprend plusieurs catégories de titres.
Cette position repose sur une lecture téléologique du principe d’unicité de mission : le texte impose qu’un commissaire ne cumule pas plusieurs fonctions ou mandats dans la société, mais n’interdit pas expressément qu’un commissaire unique évalue plusieurs catégories d’actions, dès lors que l’émission est décidée globalement dans le cadre d’une même assemblée générale.
Le rapport établi par ce commissaire doit cependant être structuré en rubriques distinctes, correspondant à chacune des catégories d’actions créées.
Une distinction à ne pas confondre avec la pluralité de missions
L’unicité de la mission du commissaire aux avantages particuliers ne signifie pas que l’ensemble des évaluations juridiques et financières afférentes à l’opération peuvent lui être confiées. Ainsi, dans certains cas, une pluralité de commissaires demeure requise :
En cas de suppression du droit préférentiel de souscription, un commissaire distinct doit être désigné conformément à l’article L. 225-138-II du Code de commerce ;
Lorsqu’une société non dotée d’un commissaire aux comptes émet des actions de préférence d’une catégorie déjà existante, deux missions distinctes doivent être confiées à deux commissaires différents :
l’un chargé d’évaluer les avantages particuliers (L. 228-15),
l’autre chargé d’apprécier le prix d’émission (pratique consacrée par l’Ansa, communication n° 24-005 du 7 février 2024).
Cette précision rappelle l’importance du respect strict du périmètre de mission confié à chaque expert désigné, afin de garantir l’indépendance de l’analyse.
Les conséquences pratiques pour les sociétés émettrices
Pour les sociétés qui envisagent une levée de fonds complexe impliquant plusieurs investisseurs, chacun avec des droits adaptés à son profil de risque ou de retour, l’émission simultanée de plusieurs catégories d’actions de préférence est souvent une solution élégante.
L’interprétation de l’Ansa permet alors de simplifier les formalités juridiques et de réduire les coûts liés à la désignation de plusieurs commissaires, sans pour autant amoindrir les exigences de contrôle ou de transparence vis-à-vis des associés.
En pratique, il est conseillé de :
formaliser précisément l’opération dans la convocation et le procès-verbal d’assemblée générale, en exposant les caractéristiques de chaque catégorie d’actions,
anticiper la désignation du commissaire aux avantages particuliers par les actionnaires ou fondateurs à l’unanimité (à défaut : requête en désignation judiciaire),
veiller à la rédaction distincte des sections du rapport, afin que les avantages attachés à chaque catégorie puissent être clairement identifiés, appréciés et, le cas échéant, contestés.
Une opération unique, une mission unique : sécurité et cohérence
L’analyse retenue par l’Ansa s’inscrit dans une volonté de cohérence juridique, en évitant une lecture excessivement formaliste du principe d’unicité. En l’espèce, c’est l’unité de l’opération d’émission, votée dans le cadre d’une seule et même assemblée, qui justifie l’intervention d’un commissaire unique.
Cela ne remet aucunement en cause le niveau d’exigence attendu quant à l’indépendance de l’expert, ni la rigueur de son rapport. Il s’agit ici d’une lecture pragmatique, soucieuse d’articuler les exigences légales avec la fluidité des opérations financières complexes.
En cas d’émission simultanée de plusieurs catégories d’actions de préférence, un seul commissaire aux avantages particuliers peut être valablement désigné, dès lors que l’opération est votée dans le cadre d’une assemblée générale unique. Cette solution, désormais confirmée par l’Ansa, constitue une voie sécurisée pour les sociétés souhaitant conjuguer structuration du capital et efficacité juridique.