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Bail commercial et bail dérogatoire : que retenir de l’arrêt du 19 juin 2025 sur l’imprescriptibilité ?

  • Photo du rédacteur: Le Bouard Avocats
    Le Bouard Avocats
  • il y a 2 jours
  • 8 min de lecture

L’action en constatation du bail commercial est imprescriptible : l’essentiel à retenir


  • À l’expiration d’un bail dérogatoire, si le locataire reste dans les lieux et que le bailleur ne s’y oppose pas, un bail commercial naît automatiquement (C. com., art. L. 145-5).

  • L’action visant à faire constater ce bail statutaire est imprescriptible, contrairement à l’action en requalification, soumise à la prescription biennale (C. com., art. L. 145-60).

  • La Cour de cassation (3e civ., 19 juin 2025, n° 24-22.125) a jugé que cette imprescriptibilité ne porte pas atteinte ni au droit de propriété, ni au principe d’égalité, ni à la sécurité juridique.

  • Le bailleur conserve toutefois la possibilité d’éviter la naissance d’un bail commercial en manifestant son opposition avant l’échéance du bail dérogatoire.

  • Pour les chefs d’entreprise locataires, cette solution garantit une sécurité renforcée et la possibilité de revendiquer le statut commercial à tout moment. Il est important de consulter un avocat spécialisé en bail commercial.





L’actualité jurisprudentielle impose de réexaminer le régime du bail commercial, et en particulier l’action en constatation d’un bail statutaire née du maintien dans les lieux après un bail dérogatoire. Pour vous, dirigeant d’entreprise, il est essentiel de comprendre les enjeux pratiques, les garanties conceptuelles et les stratégies à adopter.


Le contexte : bail commercial, bail dérogatoire et transformation automatique


Qu’est-ce qu’un bail commercial ?


Le bail commercial est régi par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce. Il confère au locataire des protections substantielles :


  • une durée minimale de neuf ans (sauf extinction anticipée),

  • un droit au renouvellement (sauf motif légitime du bailleur),

  • le droit à indemnité d’éviction en cas de refus de renouvellement,

  • la stabilité juridique de l’exploitation du fonds de commerce.


Le bail dérogatoire : une exception contrôlée


Dans certains cas, les parties peuvent convenir d’un bail hors statut (dit « bail dérogatoire » ou « bail précaire »). L’article L. 145-5 du Code de commerce permet cette dérogation à condition que la durée totale (bail initial + baux successifs) ne dépasse pas trois ans (ou deux ans selon les versions antérieures).


Mais ce statut dérogatoire ne peut perdurer indéfiniment dans les faits. En effet, l’article L. 145-5 prévoit qu’à l’expiration du bail dérogatoire, si le locataire reste dans les lieux et est laissé en possession, il s’opère de plein droit un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.


Autrement dit : même sans que les parties ne renégocient un bail commercial, la loi fait naître un bail « statutaire » du seul fait de la prolongation de l’occupation du locataire en l’absence d’opposition du bailleur.

L’arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2025 : réaffirmation du principe d’im­prescriptibilité


Le 19 juin 2025, la Cour de cassation (3ᵉ civ., pourvoi n° 24-22.125) a rendu une décision importante sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un bailleur.


Elle confirme que l’action en constatation d’un bail commercial, née du maintien du locataire après un bail dérogatoire, n’est pas soumise à prescription.


Les enjeux constitutionnels soulevés


Le bailleur soutenait que cette solution portait atteinte à plusieurs principes constitutionnels :

  • le principe de sécurité juridique (Déclaration de 1789, art. 16) ;

  • le droit de propriété (Déclaration de 1789, art. 2) ;

  • le principe d’égalité (Déclaration de 1789, art. 1 et 6).


La Cour de cassation a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel en estimant que la question ne présentait pas un caractère sérieux. Elle a jugé, dans ses motifs, que :


  1. L’article L. 145-5 (tel qu’interprété) ne contraint pas le bailleur à être lié au statut commercial s’il manifeste son opposition avant l’échéance du bail dérogatoire. Ainsi, l’absence de prescription ne prive pas le bailleur de son droit de propriété.

  2. Le régime est symétrique pour le locataire et le bailleur : tous deux peuvent agir en constatation, sans prescription.

  3. La distinction entre l’action en requalification (soumise à prescription) et l’action en constatation (imprescriptible) est justifiée par leur nature différente : l’une corrige une qualification contractuelle, l’autre reconnaît un effet légal préexistant.


En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la QPC, et la solution d’im­prescriptibilité est maintenue.

Ce que confirme l’arrêt


  • L’action en constatation de l’existence d’un bail commercial, née du maintien dans les lieux après un bail dérogatoire, échappe tant à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce qu’à toute prescription de droit commun (code civil).

  • L’action en requalification d’un bail dérogatoire (lorsqu’il y a vice de validité ou dissimulation) reste, elle, soumise au délai biennal.

  • Le bailleur conserve, pour éviter la transformation en bail commercial, la faculté de s’opposer expressément au maintien dans les lieux avant le terme du bail dérogatoire.



Analyse détaillée : que signifie l’im­prescriptibilité pour les entreprises ?


Pourquoi l’action en constatation est-elle considérée comme imprescriptible ?


La Cour de cassation justifie cette nature particulière en considérant que l’action ne crée aucun droit « nouveau » : elle ne fait que déclarer l’effet législatif déjà inséré par l’article L. 145-5.


En d’autres termes, le bail statutaire existe de plein droit dès que les conditions légales sont remplies, et l’action n’est qu’une reconnaissance de cet état de droit.


Par conséquent, appliquer une prescription à une action qui ne prétend pas créer un droit mais simplement constater ce qui existe « par la loi » serait incongru.


La coexistence des deux actions : constatation vs requalification


Pour un locataire sortant d’un bail dérogatoire litigeux, deux actions possibles :

Type d’action

Objet

Prescription applicable

Action en constatation

Faire reconnaître l’existence d’un bail commercial né du maintien dans les lieux

Imprescriptible

Action en requalification

Remettre en cause la nature du contrat pour le qualifier de bail commercial dès l’origine

Prescription biennale (L. 145-60)

La distinction est cruciale. Si les conditions de l’article L. 145-5 sont manifestes (locataire resté, absence d’opposition, durée de bail dérogatoire dépassée), l’action en constatation est préférable. On déborde moins de risques de déclassement.


Quels risques et quelles précautions pour le bailleur ?


Pour le bailleur, la décision rappelle deux impératifs :


  1. Exprimer son opposition au maintien dans les lieux avant l’échéance du bail dérogatoire, pour empêcher la transformation en bail commercial.

  2. Surveiller la durée cumulée des baux dérogatoires : si le seuil prévu par la loi est dépassé, la transformation s’imposera sauf opposition.


Un bailleur négligent peut voir, des années après, un locataire obtenir la reconnaissance d’un bail commercial entraînant des droits importants (renouvellement, indemnité d’éviction, loyers renouvelés, etc.).


Conséquences pratiques pour les chefs d’entreprise locataires ou bailleurs


Pour le locataire


  • Vous pouvez, à tout moment, demander en justice la constatation d’un bail commercial si vous êtes resté dans les lieux à l’issue d’un bail dérogatoire et que le bailleur n’a pas manifesté son opposition.

  • Cette action ne souffre d’aucun délai, ce qui sécurise vos droits futurs.

  • Toutefois, si vous cherchez à requalifier un bail contractuel, il faut agir dans les deux ans de la conclusion du contrat (article L. 145-60 du Code de commerce).


Pour le bailleur


  • Il est impératif de clarifier votre volonté de mettre fin à la relation locative avant le terme du bail dérogatoire si vous ne souhaitez pas que le bail commercial naisse.

  • Surveillez les avenants ou renouvellements implicites qui pourraient prolonger la période dérogatoire au-delà des limites légales.

  • En cas de litige, ne présumez pas que le temps joue en votre faveur : l’im­prescriptibilité de l’action de constatation joue contre vous si vos droits ne sont pas anticipés.


Bonnes pratiques pour sécuriser vos contrats de bail commercial


  1. Rédiger une clause expresse d’opposition au maintien dans les lieux, à notifier au locataire avant l’échéance.

  2. Insérer des communications formelles six à douze mois avant la fin du bail dérogatoire pour rappeler les conditions et l’échéance.

  3. Contrôler les renouvellements implicites et les accords tacites — éviter que la durée cumule à dépasser les seuils légaux.

  4. Documenter toute divergence (quittances, échanges écrits) qui pourrait être interprétée comme acceptation du maintien dans les lieux.

  5. Anticiper les actions contentieuses : si vous êtes locataire, engager l’action de constatation si les conditions sont réunies ; si bailleur, vérifier la possibilité et la date limite d’opposition.


L’arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2025 consacre un principe majeur pour le droit des baux commerciaux : l’im­prescriptibilité de l’action en constatation d’un bail commercial né par le seul effet de l’article L. 145-5 du Code de commerce.


Cette solution sécurise durablement les droits du locataire mais impose au bailleur une vigilance renforcée. Toute omission d’opposition en temps utile ou toute tolérance du maintien dans les lieux peut ouvrir la porte à une reconnaissance judiciaire d’un bail commercial, même des années plus tard.


Pour les chefs d’entreprise concernées, il est donc essentiel de prendre les mesures contractuelles, opérationnelles et stratégiques adéquates pour encadrer les relations locatives, et de s’entourer d’un conseil compétent pour anticiper toute situation litigieuse.



FAQ sur l’action en constatation du bail commercial et son imprescriptibilité


Quelle est la différence entre un bail commercial et un bail dérogatoire ?


Le bail commercial, prévu par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce, protège le locataire exploitant un fonds de commerce : durée minimale de neuf ans, droit au renouvellement, indemnité d’éviction.Le bail dérogatoire (ou bail de courte durée), régi par l’article L. 145-5, permet de déroger temporairement à ce statut. Sa durée totale ne peut excéder trois ans.


À son terme, si le locataire reste dans les lieux sans opposition du bailleur, un bail commercial naît automatiquement.


L’action en constatation d’un bail commercial est-elle soumise à prescription ?


Non. La Cour de cassation a jugé que l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial né du maintien dans les lieux après un bail dérogatoire est imprescriptible (Cass. 3e civ., 19 juin 2025, n° 24-22.125).


Elle considère que cette action ne crée pas un droit nouveau mais constate l’effet automatique de l’article L. 145-5 du Code de commerce. En conséquence, aucune prescription biennale (L. 145-60) ni de droit commun ne s’applique.


Quelle différence entre l’action en constatation et l’action en requalification ?


  • Action en constatation : le locataire demande au juge de constater qu’un bail commercial est né automatiquement du maintien dans les lieux après un bail dérogatoire. Cette action est imprescriptible.

  • Action en requalification : le locataire conteste la nature du contrat initial (bail civil, location-gérance, bail dérogatoire irrégulier) pour qu’il soit reconnu comme bail commercial dès l’origine. Cette action est soumise à la prescription biennale prévue à l’article L. 145-60.


Quelles précautions un bailleur doit-il prendre pour éviter la naissance d’un bail commercial ?


Le bailleur doit impérativement :


  • Notifier son opposition au maintien dans les lieux avant l’échéance du bail dérogatoire.

  • Contrôler la durée cumulée des baux dérogatoires pour ne pas dépasser le plafond légal (trois ans).

  • Éviter toute tolérance implicite (quittances de loyers, absence de réaction) qui pourrait être interprétée comme une acceptation tacite.En l’absence de ces précautions, un bail commercial naîtra de plein droit, avec toutes les conséquences attachées (droit au renouvellement, indemnité d’éviction).


Quelles conséquences pratiques pour le chef d’entreprise locataire ?


Pour le dirigeant locataire, cette jurisprudence offre une sécurité juridique :


  • Vous pouvez revendiquer à tout moment l’existence d’un bail commercial statutaire, sans être limité par un délai de prescription.

  • Cela garantit une stabilité pour votre exploitation (renouvellement, indemnité d’éviction en cas de refus).

  • Attention toutefois : si vous souhaitez contester la qualification d’un contrat initial (par exemple un bail civil requalifiable), vous devrez agir dans le délai de deux ans.

 
 
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