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Bail commercial : neuf mois payés d’avance sans baisse de loyer, décryptage

  • Photo du rédacteur: Le Bouard Avocats
    Le Bouard Avocats
  • 25 juin
  • 5 min de lecture

L’essentiel à retenir sur la valeur locative et les loyers payés d’avance pour un bail commercial


  • Pas de décote automatique : même si le bail impose au locataire de verser jusqu’à neuf mois de loyer d’avance, la valeur locative ne baisse pas lorsque le bailleur verse les intérêts légaux prévus par l’article L 145-40 du Code de commerce.

  • Seuil des deux termes : l’obligation de rémunérer démarre dès que l’avance excède deux termes de loyer ; en loyer trimestriel, trois trimestres d’avance restent donc licites, intérêts compris.

  • Intérêts = contrepartie suffisante : la Cour de cassation (arrêt du 7 mai 2025) juge que ces intérêts compensent la charge financière du dépôt, neutralisant tout argument de minoration de la valeur locative.

  • Stratégie bailleur/preneur : bailleurs sécurisent leurs clauses tant qu’ils paient les intérêts ; preneurs doivent plutôt cibler d’autres charges (travaux, taxes, indexation) pour négocier un loyer de renouvellement à la baisse.





Pourquoi s’intéresser à la décision Nougat Chabert ?


La troisième chambre civile de la Cour de cassation a, par un arrêt du 7 mai 2025 (n° 23-15 394), rappelé qu’une clause imposant au locataire de verser l’équivalent de neuf mois de loyer avant même la prise de possession ne justifie pas automatiquement une baisse de la valeur locative lors du renouvellement du bail commercial.


La solution, passée relativement inaperçue, mérite pourtant l’attention des bailleurs institutionnels, des franchisés et, plus largement, des chefs d’entreprise négociant un loyer de renouvellement.


Rappel du cadre légal : valeur locative et facteurs de diminution du bail commercial


Les articles L 145-33 et R 145-8 du Code de commerce


Lorsque les parties ne s’entendent pas sur le prix du bail renouvelé, celui-ci est fixé à la valeur locative, déterminée, entre autres, « compte tenu des obligations respectives des parties » (art. L 145-33, 3°).


Le décret d’application précise que les « obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages, sans contrepartie », entraînent une diminution de la valeur locative (art. R 145-8).


Les loyers payés d’avance : article L 145-40


Le même code encadre les loyers versés d’avance : toute portion excédant deux termes porte intérêts au profit du locataire, « au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres ».


L’objectif est clair : compenser le coût financier d’un dépôt trop important, sans pour autant sanctionner le bailleur par une baisse de valeur locative.

Faits de l’espèce : neuf mois de loyer d’avance… et un refus de minoration du bail commercial


  • Clause litigieuse : loyer payable trimestriellement d’avance + dépôt de garantie de six mois de loyer TTC.

  • Argument du preneur : obligation « exceptionnelle » > diminution de la valeur locative.

  • Position des juges : trois termes avancés ne contreviennent pas à l’article L 145-40 ; la charge du preneur est compensée par les intérêts légaux ; absence de minoration.


Analyse juridique détaillée


A. Le seuil critique des deux termes


Le texte vise « le prix du loyer de plus de deux termes ». La haute juridiction rappelle la méthode :


  • Loyer trimestriel : le terme est le trimestre ; le bailleur peut exiger un trimestre d’avance + un trimestre de dépôt de garantie sans intérêts.

  • Loyer mensuel : terme = mois ; il peut donc réclamer un mois d’avance + un mois de caution sans intérêts.


Dès qu’on franchit ce seuil, le bailleur doit rémunérer la somme excédentaire ; cette rétribution constitue la contrepartie visée par l’article R 145-8.


Autrement dit, la charge devient neutre aux yeux du législateur : pas de raison de retrancher quoi que ce soit à la valeur locative.

B. Intérêts légaux : une véritable compensation ?


Le taux de référence — avances sur titres de la Banque de France — fluctue autour de la rémunération des dépôts de marché monétaire ; il n’a plus rien d’anecdotique depuis la remontée des taux directeurs.


Les preneurs bénéficient donc d’une rémunération respectable, rétablissant l’équilibre économique.



C. Incidence sur la négociation du loyer de renouvellement


L’arrêt cristallise une ligne jurisprudentielle constante : l’obligation de payer des loyers d’avance n’est un facteur de diminution que si elle n’a pas de contrepartie. Or, dès l’instant où la loi impose ces intérêts, la contrepartie est présumée.


Les conseils du preneur devront donc chercher ailleurs, charges locatives excessives, clause d’échelle mobile, travaux imposés, pour espérer obtenir une réduction.


Points pratiques pour les chefs d’entreprise et leurs baux commerciaux


1. Audit des clauses financières avant toute demande de révision


  • Identifier la périodicité du loyer du bail.

  • Qualifier chaque somme : loyer d’avance ? dépôt de garantie ? caution bancaire ?

  • Comparer au double terme légal ; calculer l’éventuelle portion excédentaire.


2. Calcul des intérêts dus par le bailleur


  • Récupérer le taux des avances sur titres (site Banque de France).

  • Appliquer le taux uniquement à la fraction qui excède deux termes.

  • Facturer ces intérêts annuellement ou lors de la restitution du dépôt.


3. Argumentaire de négociation


  • Si la clause reste dans la limite légale : le bailleur n’aura aucune incitation à baisser la valeur locative.

  • Si elle dépasse la limite sans rémunération : mise en demeure de payer les intérêts ; demande de minoration du loyer.


Impacts anticipés de la future réforme


Le projet de loi de simplification de la vie économique envisage de plafonner la garantie financière exigible par le bailleur. Si le texte est adopté, le plafond légal remplacera de facto le jeu des intérêts légaux. Les praticiens devront alors :


  • Modifier les baux pour respecter le nouveau plafond.

  • Vérifier rétroactivement les garanties existantes et, le cas échéant, restituer les trop-perçus.


Bonnes pratiques contractuelles


  • Négocier la périodicité : un loyer mensuel écarte d’emblée l’avance de trois trimestres.

  • Insérer une clause d’indexation claire des intérêts à verser, avec échéancier.

  • Éviter les garanties hybrides (compte bloqué non rémunéré) qui, faute de contrepartie, pourraient réactiver le facteur de diminution.

  • Prévoir la révision automatique du dépôt en cas de variation de loyer au cours d’une réindexation triennale.


L’arrêt du 7 mai 2025 rassure les investisseurs : une clause exigeant jusqu’à trois termes de loyer d’avance, y compris sous forme de dépôt de garantie, n’impacte plus la valeur locative dès lors que les intérêts légaux sont versés.


Les preneurs, quant à eux, doivent ajuster leur stratégie : réclamer systématiquement ces intérêts et concentrer leurs demandes de baisse de loyer sur d’autres postes de charge.


L’avocat‐conseil en droit commercial et en bail commercial intervient à deux niveaux : sécuriser la rédaction initiale du bail et piloter le chiffrage des intérêts pour verrouiller le dossier avant toute instance devant le juge des loyers commerciaux.


En matière de bail commercial, anticiper vaut mieux que subir : un audit régulier du contrat, nourri d’une veille jurisprudentielle serrée, reste le meilleur outil pour préserver l’équilibre financier de l’exploitation.

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