Annulation de l’exclusion d’un associé et ses conséquences sur la validité des assemblées
- Le Bouard Avocats
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Quelles sont les conséquences de l’annulation de l’exclusion d’un associé ?
L’annulation de l’exclusion d’un associé entraîne des effets profonds sur la vie sociale de l’entreprise. Elle rétablit rétroactivement l’associé dans ses droits et peut remettre en cause la validité des assemblées générales tenues durant son éviction.
Cette situation, connue sous le nom de nullité en cascade, comporte des implications majeures pour les sociétés, leurs dirigeants et les autres associés.
Ce qu’il faut retenir :
L’associé exclu retrouve rétroactivement sa qualité d’associé dès l’annulation de la décision d’exclusion (C. civ., art. 1844-10).
Les assemblées générales tenues sans lui pendant son éviction peuvent être annulées pour défaut de convocation.
La Cour de cassation (18 juin 2025, n° 23-20.593) confirme ce mécanisme, au risque de fragiliser la sécurité juridique des sociétés.
Les juges peuvent toutefois limiter la portée des nullités en tenant compte de l’intérêt social.
La réforme du 1er octobre 2025 (ord. 2025-229) introduit un « triple test » et permet d’écarter la rétroactivité pour éviter des conséquences excessives.

La question de la nullité en cascade en droit des sociétés n’est pas nouvelle. Elle se pose chaque fois qu’une décision sociale irrégulière entraîne, par effet domino, l’anéantissement de décisions ultérieures.
La problématique est particulièrement aiguë en cas d’exclusion d’un associé : l’annulation de cette exclusion le rétablit rétroactivement dans ses droits, avec pour conséquence possible la remise en cause de toutes les délibérations prises durant son éviction.
L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 juin 2025 (n° 23-20.593) illustre avec force ce mécanisme et met en lumière les tensions entre droits individuels de l’associé et sécurité juridique des sociétés.
Alors que la réforme des nullités introduite par l’ordonnance du 12 mars 2025 entrera en vigueur le 1er octobre 2025, cet arrêt offre un éclairage précieux sur l’évolution du droit applicable.
Le principe : l’effet rétroactif de l’annulation d’une exclusion
Le rétablissement ab initio des droits de l’associé
L’article 1844-10, alinéa 3 du Code civil dispose que « l’annulation d’une délibération entraîne l’anéantissement rétroactif de ses effets ». Ainsi, lorsqu’une décision d’exclusion est annulée, l’associé retrouve sa qualité comme s’il n’avait jamais été évincé.
Il s’agit d’une application classique du principe « ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé » (C. civ., art. 1178, al. 2). Dès lors, toutes les assemblées tenues entre l’exclusion et son annulation doivent être considérées comme irrégulières dès lors que l’associé n’y a pas été convoqué.
La convocation comme droit essentiel
Le droit d’être convoqué aux assemblées constitue une prérogative fondamentale de l’associé, corollaire de son droit de participer aux décisions collectives (C. civ., art. 1844, al. 1). L’omission de convocation est traditionnellement sanctionnée par la nullité des décisions adoptées (Cass. 3e civ., 21 oct. 1998, n° 96-16.537).
Dans l’affaire jugée en 2025, l’associé évincé détenait la moitié du capital de la SCCV. Son absence a donc nécessairement influencé le résultat de la délibération portant sur la prorogation de la société.
La jurisprudence : illustration du risque de nullité en cascade
L’arrêt du 18 juin 2025
Dans cette affaire, un associé avait été exclu en application de l’article L. 211-3 du Code de la construction et de l’habitation, prévoyant la mise en vente forcée des parts sociales en cas de refus d’un appel de fonds. Deux ans plus tard, l’assemblée générale de la SCCV prorogeait sa durée.
Après avoir obtenu l’annulation de son exclusion et de la vente de ses parts, l’associé a saisi les juges pour obtenir l’annulation de l’assemblée qui avait statué sans lui. La cour d’appel avait rejeté sa demande, estimant que la société n’avait pas à convoquer un associé déjà exclu.
La Cour de cassation a censuré cette décision : l’annulation de l’exclusion ayant un effet rétroactif, l’associé devait être considéré comme membre de plein droit lors de l’assemblée de prorogation. Le défaut de convocation constituait donc une cause de nullité.
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Les risques pour la stabilité des sociétés
Cet arrêt illustre le danger d’une insécurité juridique :
toutes les assemblées tenues entre l’exclusion et son annulation peuvent être contestées ;
des décisions structurantes comme la prorogation, l’augmentation de capital ou l’approbation des comptes peuvent être fragilisées ;
les tiers, partenaires ou établissements bancaires, peuvent voir leurs garanties remises en cause.
En d’autres termes, la nullité en cascade menace la continuité de la société elle-même.

Les limites apportées par la jurisprudence
Une nullité encadrée par l’intérêt social
La Cour de cassation admet depuis plusieurs années que la nullité d’une assemblée n’est pas automatique : elle suppose une irrégularité ayant porté atteinte aux droits de l’associé et susceptible d’avoir influencé la décision (Cass. com., 29 mai 2024, n° 21-21.559).
De même, les juridictions du fond ont déjà refusé d’annuler en bloc toutes les assemblées tenues durant l’éviction d’un associé, en considérant que les décisions prises servaient l’intérêt social et n’étaient pas contraires aux droits fondamentaux (CA Paris, 5 janv. 2016, n° 14/21649).
La notion de proportionnalité
On voit poindre une logique de proportionnalité : les juges mettent en balance la gravité de l’irrégularité et les conséquences de l’annulation pour la société. Ce raisonnement préfigure déjà la réforme entrée en vigueur le 1er octobre 2025.
La réforme des nullités en droit des sociétés (ord. 2025-229)
Le triple test de l’article 1844-12-1 du Code civil
À compter du 1er octobre 2025, le juge ne pourra prononcer la nullité d’une décision sociale qu’à la condition de vérifier :
que l’irrégularité a privé l’associé d’un droit essentiel ;
qu’elle a été susceptible d’influencer le résultat de la décision ;
que ses conséquences pour l’intérêt social ne sont pas excessives.
Ce mécanisme de filtrage vise à éviter l’effet domino d’annulations multiples qui paralyseraient la vie sociale.
La modulation de la rétroactivité (art. 1844-15-2)
Autre innovation majeure : le juge pourra décider que l’annulation d’une exclusion ne produit pas d’effet rétroactif lorsqu’une telle rétroactivité entraînerait des effets « manifestement excessifs » pour l’intérêt social.
Cela permet de limiter drastiquement le risque de nullités en cascade. Le juge devient un véritable régulateur de l’équilibre entre intérêt social et droits individuels.
Les enjeux pratiques pour les acteurs du droit des sociétés
Pour les associés évincés
L’annulation de l’exclusion leur redonne potentiellement un levier contentieux puissant.
Mais leur action sera désormais filtrée par le triple test, réduisant les nullités automatiques.
Pour les sociétés et leurs dirigeants
L’arrêt de 2025 rappelle l’importance de sécuriser la procédure d’exclusion : respect des statuts, convocation régulière, motivation des décisions.
Il est recommandé d’anticiper les risques de contentieux en adaptant les statuts pour prévoir des clauses protectrices (effet non rétroactif possible, modalités de convocation renforcées).
Pour les praticiens du droit
Les avocats en droit des affaires dans les Yvelines doivent accompagner leurs clients dans la mise en conformité des statuts avant l’entrée en vigueur de la réforme.
Ils doivent également sensibiliser les associés aux risques de contentieux liés aux exclusions et aux décisions prises dans l’intervalle.
Enfin, ils devront maîtriser les nouveaux critères d’appréciation du juge pour défendre efficacement leurs clients.
L’arrêt du 18 juin 2025 consacre une solution classique mais redoutable : l’annulation d’une exclusion rétablit l’associé rétroactivement et ouvre la voie aux nullités en cascade. Ce principe, protecteur des droits individuels, constitue toutefois une menace pour la sécurité juridique des sociétés.
L’ordonnance du 12 mars 2025, applicable au 1er octobre 2025, vient opportunément encadrer ce mécanisme en introduisant un triple test et en permettant au juge d’écarter la rétroactivité. Elle traduit la recherche d’un équilibre entre protection des associés et préservation de l’intérêt social.
À l’heure où les contentieux liés aux exclusions se multiplient, cette réforme offre une bouffée d’oxygène aux sociétés. Mais elle impose aux praticiens une vigilance accrue et une stratégie juridique renouvelée pour anticiper les risques.
FAQ sur la nullité en cascade après l’annulation de l’exclusion d’un associé
Qu’est-ce que la nullité en cascade en droit des sociétés ?
La nullité en cascade désigne l’annulation automatique ou potentielle de plusieurs décisions sociales consécutives, lorsqu’une première décision, irrégulière, est annulée. En cas d’exclusion d’associé, l’annulation de cette exclusion entraîne rétroactivement sa réintégration, ce qui peut invalider toutes les assemblées générales tenues sans lui.
L’annulation d’une exclusion d’associé rend-elle toutes les assemblées nulles ?
Pas nécessairement. En théorie, toute assemblée tenue sans convocation de l’associé réintégré est entachée de nullité. Mais en pratique, les juges apprécient si l’irrégularité a privé l’associé d’un droit essentiel et si l’annulation est proportionnée au regard de l’intérêt social.
Quels articles de loi encadrent la nullité après exclusion d’un associé ?
Article 1844-10 du Code civil : toute délibération annulée est réputée n’avoir jamais existé.
Article 1178 du Code civil : principe de rétroactivité de la nullité.
Article L. 211-3 du Code de la construction et de l’habitation : fondement de l’exclusion dans les SCCV en cas de refus d’un appel de fonds.
Comment la réforme du 1er octobre 2025 change-t-elle le régime ?
L’ordonnance n° 2025-229 introduit un « triple test » (C. civ., art. 1844-12-1) : la nullité ne peut être prononcée que si l’irrégularité est grave, qu’elle a influencé la décision et que ses conséquences ne sont pas excessives pour l’intérêt social. De plus, l’article 1844-15-2 nouveau permet au juge d’écarter la rétroactivité de l’annulation pour éviter des effets manifestement excessifs.
Que doivent faire les sociétés pour limiter le risque de nullité en cascade ?
Sécuriser les clauses statutaires d’exclusion et leurs modalités.
Anticiper les risques contentieux lors de la convocation aux assemblées.
Adapter les statuts à la réforme de 2025, en prévoyant des clauses de sauvegarde.
Se faire accompagner par un avocat spécialisé en droit des sociétés afin de limiter l’insécurité juridique.