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Liquidation judiciaire d’une société dissoute : comment éviter la forclusion d’un an

  • Photo du rédacteur: Le Bouard Avocats
    Le Bouard Avocats
  • 16 juin
  • 4 min de lecture

Ce qu’il faut savoir avant d’assigner une société déjà radiée


  • Délai préfix incontournable : Dès la publication de la radiation au RCS, le créancier n’a que douze mois pour assigner la société en liquidation judiciaire ; aucun événement – négociation, instance prud’homale ou expertise – ne suspend ce compte à rebours.

  • Point de départ strict : Le délai court à compter de l’avis paru au BODACC ; la date de découverte ou de reconnaissance de la créance est sans incidence, même si la condamnation survient postérieurement.

  • Survivance de la personnalité morale limitée : La société dissoute subsiste uniquement pour solder les droits nés avant la dissolution ; cette survivance ne proroge pas le délai d’un an, pas même en présence d’obligations salariales encore impayées.

  • Recours après forclusion


    Une fois le délai expiré, demeurent :


    • la réouverture de la liquidation amiable par mandataire ad hoc ;

    • l’action en paiement contre les associés (cinq ans) ;

    • la responsabilité pour faute du liquidateur (trois ans).



avocat expert en liquidation judiciaire

Un délai préfix aux contours stricts


L’architecture de l’article L 640-5 du Code de commerce


Le droit des procédures collectives fixe un calendrier implacable : lorsqu’une personne morale a cessé toute activité et que sa radiation est publiée au registre du commerce et des sociétés, le créancier dispose d’un délai d’un an pour l’assigner en liquidation judiciaire [[C. com., art. L 640-5]].Le texte présente deux caractéristiques majeures :


  • Un délai préfix : ni interruption ni suspension possibles, ainsi que l’a rappelé la haute juridiction dès 1995 [[Cass. com., 10 oct. 1995, n°93-11.441]].

  • Un point de départ indiscutable : la date de publication au BODACC, peu importe la découverte ultérieure de la créance par le demandeur.



L’illustration donnée par la Cour de cassation le 26 mars 2025


Dans l’affaire Christ services, un salarié a saisi le tribunal vingt-huit mois après la radiation. Il plaidait la poursuite de son contrat de travail et la fraude supposée de la société. La chambre commerciale rejette le pourvoi : la radiation du 31 juillet 2019 a fait courir le délai ; l’assignation du 30 décembre 2021 était forclose [[Cass. com., 26 mars 2025, n°24-12.020]].


La survivance de la personnalité morale : une portée limitée


Le principe civiliste


Après dissolution, la société conserve sa personnalité « pour les besoins de la liquidation » [[C. civ., art. 1844-8 al. 3 ; C. com., art. L 237-2 al. 2]]. Cette survivance permet d’achever les opérations en cours : payer un salarié, encaisser un prix de vente, défendre un procès initié avant la dissolution.


L’articulation avec le délai préfix


L’arrêt du 26 mars 2025 clarifie que cette subsistance n’a aucune incidence sur l’année impartie par L 640-5. Vouloir invoquer la personnalité morale survivante pour retarder le point de départ reviendrait à neutraliser la fonction de purge voulue par le législateur.


Les options résiduelles après expiration du délai


Réouvrir la liquidation amiable


Un créancier forclos peut saisir le juge afin qu’un mandataire ad hoc rouvre la liquidation amiable clôturée prématurément. Cette voie, admise de longue date [[Cass. com., 26 janv. 1993, n°91-11.285]], suppose d’établir que certains droits ou obligations avaient été occultés.


Poursuivre les associés ou le liquidateur


  • Action contre les associés : dans les cinq ans de la dissolution, le créancier peut obtenir leur condamnation dans la limite du boni de liquidation [[C. com., art. L 237-13]].

  • Responsabilité du liquidateur : son action ou son abstention fautive engage sa responsabilité durant trois ans à compter du fait dommageable ou de sa révélation [[C. com., art. L 237-12 et L 225-254]].


L’argument de la fraude


La fraude est de droit commun (fraus omnia corrumpit), mais elle requiert une démonstration positive : organisation volontaire de l’insolvabilité, dissimulation d’actifs, fausse déclaration. La seule poursuite d’un contrat de travail post-radiation ne suffit pas, comme le rappelle la haute juridiction.


Bonnes pratiques pour l’entreprise et ses partenaires


Côté dirigeant : clôturer sans précipitation


Avant la publication de la dissolution, il convient de :


  • dresser un état exhaustif du passif, y compris social ;

  • communiquer aux salariés et fournisseurs sur le calendrier de liquidation ;

  • publier au BODACC dès la clôture pour sécuriser le point de départ du délai.


Un formalisme précis protège les associés contre d’éventuelles actions futures.


Côté créancier : adopter une veille active



  • surveiller les annonces légales et l’extrait K-bis ;

  • déclencher l’assignation sans attendre l’arrêt définitif fixant le montant de la créance ;

  • préparer, à titre subsidiaire, une action en responsabilité si le délai préfix est dépassé.


Points clés à retenir


  • Le délai préfix d’un an commence le jour où la radiation est publiée au RCS.

  • Aucune suspension ne résulte d’une instance prud’homale ou d’une négociation en cours.

  • La personnalité morale survivante n’allonge pas le délai pour ouvrir la procédure collective.

  • Recours alternatifs : réouverture de la liquidation amiable, action contre associés ou liquidateur.

  • La fraude ne fait tomber la forclusion que si la preuve est rapportée de manœuvres dolosives précises.


Une vigilance juridique non négociable


La décision du 26 mars 2025 confirme que le délai de L 640-5 est une véritable ligne rouge. Passé ce cap, l’ouverture d’une liquidation judiciaire devient irréalisable, même si subsistent des obligations non apurées.


L’entreprise qui se dissout a donc tout intérêt à régler intégralement ses engagements avant publication ; le créancier, pour sa part, doit déclencher l’assignation dès le premier signal d’insolvabilité.


Entre précipitation et attentisme, la mesure est étroite ; mais c’est le prix d’une sécurité juridique à laquelle ni les juridictions commerciales ni la Cour de cassation ne dérogent.

Sources

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