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Condamnation pénale post-fusion : la société absorbante peut faire appel pour l’absorbée

  • Photo du rédacteur: Le Bouard Avocats
    Le Bouard Avocats
  • 4 juin
  • 5 min de lecture

Ce qu’il faut retenir sur l’appel pénal en cas de fusion-absorption


Lorsqu’une fusion-absorption intervient après la condamnation pénale de deux sociétés, la société absorbante peut, en l’absence de limitation explicite, étendre son appel à la condamnation de la société absorbée. La Cour de cassation clarifie ici les effets procéduraux de la transmission universelle de patrimoine sur l’exercice des voies de recours.


  • L’appel interjeté par la société absorbante couvre également la condamnation pénale de la société absorbée, sauf mention expresse de restriction dans l’acte d’appel (Cass. crim., 29 avr. 2025, n° 24-81.555).

  • La disparition de la personnalité morale de la société absorbée ne fait pas obstacle à ce que l’appel de l’absorbante emporte effet à son égard.

  • La peine éventuellement prononcée au titre des faits imputables à la société absorbée devra être motivée en tenant compte de la situation de la société absorbante au moment où la juridiction statue.

  • Ce principe s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer la continuité de l’action pénale en cas de restructuration juridique, dans le respect de l’article 509 du code de procédure pénale.




procédure d'appel après une fusion



L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 29 avril 2025 (n° 24-81.555, FS-B, publié au Bulletin) marque une évolution significative dans l’articulation entre la procédure pénale et les opérations de fusion-absorption intervenues au cours du procès.

La Haute juridiction y affirme que, sauf mention expresse contraire, l’appel interjeté par une société absorbante de sa propre condamnation pénale s’étend à celle de la société absorbée, y compris lorsque cette dernière a été dissoute par l’effet de la fusion avant l’exercice du recours.


Une clarification bienvenue sur les effets de l’appel en cas de fusion en cours de procédure


La transmission universelle de patrimoine et ses implications procédurales


Aux termes de l’article L. 236-3 du code de commerce, la fusion-absorption emporte transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, sans qu’il soit besoin de procéder à une liquidation. Cette opération emporte disparition de la personnalité morale de la société absorbée, à compter de la date de la fusion.


La question s’est posée de savoir si l’appel formé par la société absorbante après la date de fusion valait aussi pour contester les condamnations pénales prononcées à l’encontre de la société absorbée, ou si, au contraire, cette dernière devant être regardée comme juridiquement inexistante, seule sa propre déclaration d’appel eût été recevable.



La portée de l’article 509 du code de procédure pénale


Selon l’article 509 du code de procédure pénale, l’effet dévolutif de l’appel s’exerce dans la limite fixée par l’acte d’appel et par la qualité de l’appelant. Il appartient à la cour d’appel, sous le contrôle de la Cour de cassation, de déterminer l’étendue de sa saisine au vu des termes de l’acte d’appel lui-même.


La chambre criminelle rappelle à cet égard que les restrictions à l’effet de l’appel doivent ressortir explicitement de l’acte d’appel. Ainsi, lorsqu’aucune précision ne limite l’objet de l’appel, celui-ci emporte, par défaut, l’intégralité des dispositions du jugement susceptibles d’être critiquées au regard de la qualité de l’appelant.


Une réponse claire à la problématique de la double condamnation


Les faits ayant conduit à la cassation


Dans cette affaire, deux sociétés avaient été condamnées pour des blessures involontaires consécutives à un accident du travail, en lien avec des manquements à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité.


Après la condamnation prononcée en première instance, l’une des deux entités a été absorbée par l’autre dans le cadre d’une opération de fusion. Le lendemain de cette fusion, un appel a été formé par la société absorbante, sans limitation expresse.


La cour d’appel avait considéré que la condamnation de la société absorbée était devenue définitive, faute d’un appel recevable émanant de cette dernière, dont la personnalité juridique avait disparu à la date de la fusion. En conséquence, elle avait jugé irrecevable l’appel du ministère public dirigé contre la société absorbée.


Une cassation motivée par une erreur d’interprétation


La Cour de cassation censure cette analyse. Elle considère que l’appel formé par la société absorbante ne peut être regardé comme limité à sa propre condamnation, dès lors qu’il ne contient aucune restriction en ce sens. Elle juge donc que la cour d’appel a méconnu l’article 509 du code de procédure pénale en statuant comme elle l’a fait.


Ainsi, l’appel exercé par la société absorbante couvrait également la condamnation prononcée à l’encontre de la société absorbée, dont elle avait juridiquement repris l’intégralité des droits et obligations.


Les conséquences de cette décision sur la détermination des peines


Une peine unique, fondée sur la situation de la société absorbante


La Cour précise que, dans l’hypothèse où la cour d’appel de renvoi prononcerait une condamnation au titre des faits commis par la société absorbée, la peine ne pourra être prononcée qu’à l’encontre de la société absorbante, seule entité subsistante.


Cette peine devra être motivée au regard des circonstances de l’infraction, mais également de la situation propre de chacune des entités impliquées, tant au moment des faits qu’après la fusion.


En application de l’article 132-20 du code pénal, la juridiction devra tenir compte exclusivement des ressources et des charges de la société absorbante, même lorsque les faits ont été commis par la société absorbée antérieurement à la fusion.


Une articulation précise entre responsabilité pénale et continuité économique


Cette approche, déjà amorcée dans les arrêts du 25 novembre 2020 (sociétés par actions) et du 22 mai 2024 (SARL), confirme que la responsabilité pénale des personnes morales survivantes à une opération de fusion est pleinement reconnue, tant pour les faits commis par elles-mêmes que pour ceux imputables à la société absorbée.


Le critère déterminant n’est plus la subsistance juridique, mais la continuité économique et patrimoniale, traduite notamment par la transmission des engagements pénaux.


Une jurisprudence à portée systémique pour les contentieux post-fusion


Sécurisation des stratégies procédurales en matière pénale


Pour les praticiens du droit des affaires, cette décision oblige à repenser les stratégies contentieuses en cas de fusion en cours de procédure pénale. Dès lors qu’une société absorbante forme appel sans le restreindre expressément, elle engage également la procédure d’appel sur les condamnations prononcées contre l’absorbée.



  • Examiner attentivement la date de la fusion et celle de l’acte d’appel ;

  • Vérifier la portée rédactionnelle de l’appel, notamment en cas de stratégie limitative ;

  • Prévoir les conséquences patrimoniales et réputationnelles d’une éventuelle condamnation au titre de faits antérieurs.


Vers une cohérence renforcée du droit pénal des sociétés


Cet arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large visant à adapter le droit pénal à la réalité économique des groupes et à la fluidité des restructurations. Il marque une volonté claire de préserver l’efficacité de la répression, en empêchant qu’une opération de fusion ne soit utilisée comme vecteur d’extinction de l’action publique.


En étendant l’effet de l’appel de la société absorbante à la condamnation pénale de la société absorbée, la Cour de cassation rappelle que les principes du droit pénal des sociétés ne peuvent s’accommoder d’une lecture purement formaliste des actes procéduraux.


La solidarité organique entre les sociétés fusionnées justifie pleinement cette extension. Cette décision contribue ainsi à une meilleure articulation entre les règles de procédure pénale et les logiques économiques du droit des sociétés, dans une perspective de responsabilisation renforcée.

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