Renonciation à la clause de non-concurrence : portée de la LRAR
- Le Bouard Avocats
- 22 sept.
- 6 min de lecture
La LRAR suffit-elle à valoir renonciation sur une clause de non-concurrence ?
La LRAR, lorsqu’elle a pour seul objet d’informer (acte non contentieux), peut produire l’effet d’une renonciation même si le destinataire n’a pas retiré la lettre.
Il faut distinguer les actes non contentieux (information, gestion) des actes contentieux : pour ces derniers, la preuve de la réception est habituellement exigée.
Les parties peuvent prévoir contractuellement des modalités plus strictes : respecter la forme prévue demeure impératif.
En cas de LRAR non retirée, multipliez les diligences (courriel recommandé, remise contre signature, huissier) et conservez toutes les preuves d’envoi.
La portée comptable et procédurale (admission au passif, date d’effet) impose une documentation rigoureuse et une coordination juridique/comptable.

La question de la validité d’une renonciation à une clause de non-concurrence est loin d’être théorique pour les entreprises.
Dans un arrêt récent, la chambre commerciale a confirmé que l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) peut valoir renonciation, même en l’absence de retrait effectif par le destinataire.
Cette solution invite à la prudence mais aussi à l’adoption de pratiques contractuelles et procédurales claires.
Les faits et l’enjeu pratique
Dans l’affaire concernée, un pacte d’associés imposait à certains managers une obligation de non-concurrence pendant vingt-quatre mois, assortie d’une indemnité. Le pacte autorisait la société à renoncer à ce bénéfice dans un délai contractuel de trois mois à compter du départ.
La société avait expédié deux LRAR, dont l’une notifiant la levée de l’engagement. Ces lettres furent retournées pour « destinataire inconnu ».
La cour d’appel, retenant l’absence d’information effective, avait refusé de reconnaître la renonciation. La Cour suprême a infirmé cette décision en retenant que l’information par LRAR, même non retirée, peut être régulière lorsque l’acte n’est pas de nature contentieuse.
Sur le plan pratique, l’enjeu était considérable : la reconnaissance de la renonciation conditionnait l’admission d’une créance indemnitaire au passif d’une société en difficulté.
Dans de nombreux dossiers d’entreprise, le point n’est pas seulement théorique : il pèse sur l’équilibre entre sécurité juridique du cocontractant et efficacité de la gestion par l’entreprise.
Actes contentieux versus actes non contentieux : une distinction déterminante
La décision repose sur une distinction fondamentale : certains actes unilatéraux ont pour objet l’information ou la gestion — ils ne constituent pas une action contentieuse. Pour ces actes, la cour admet qu’un envoi en LRAR suffit à manifester la volonté de l’expéditeur et à produire l’effet d’information, même si le destinataire n’en prend pas effectivement connaissance.
Cette approche privilégie l’effet objectif de l’envoi : la lettre a bien été mise à la disposition du destinataire par le mécanisme postal prévu par la LRAR.
À l’inverse, pour les actes de procédure ou pour des notifications intimant une démarche contentieuse, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve de la réception est souvent requise pour que la notification produise ses effets.
Limites et précautions contractuelles
Si la solution paraît pragmatique, elle ne vaut pas pour toutes les hypothèses. Les parties restent libres de prévoir dans leurs conventions des modalités de notification strictes et détaillées (adresse précise, modes alternatifs, délai de validité, etc.).
Lorsque le contrat impose une forme ou une adresse spécifique, le respect de ces exigences conserve sa portée.
En pratique, il est donc indispensable de :
vérifier la rédaction de la clause (forme, délai, adresse de notification) et, le cas échéant, la compléter ;
conserver des preuves incontestables de l’envoi (copies, bordereaux postaux, récapitulatifs d’envois) ;
prévoir des modalités de secours (remise en main propre contre décharge, courriel recommandé avec accusé de réception, recours à un huissier) si le délai contractuel est bref ou si l’information est stratégique.
L’arrêt montre que l’envoi recommandé a une force probante importante ; toutefois, il ne dispense pas d’agir diligemment pour assurer l’information effective lorsque les circonstances l’imposent.
Conséquences en matière de passif et de procédures collectives
La question prend une dimension supplémentaire lorsque la renonciation entraîne une obligation de paiement susceptible d’être inscrite au passif d’une procédure collective.
Valider la renonciation par simple LRAR peut permettre d’établir la décision de la société de libérer un associé de son engagement, ce qui, en cas d’ouverture d’une procédure collective, facilite l’examen de l’admission d’une créance.
À l’inverse, un formalisme insuffisant ou une contestation sur la date d’effet peuvent conduire à des litiges longs et coûteux, portant sur la réalité et la date de la renonciation.
Pour limiter les risques comptables et juridiques, il est recommandé de documenter scrupuleusement la décision et d’articuler clairement les conséquences comptables de la renonciation au sein de la gouvernance de l’entreprise.
Bonnes pratiques pour les praticiens et les dirigeants
Au regard des enseignements dégagés, il est prudent d’adopter les opérations suivantes :
prévoyez dans vos conventions une clause de notification détaillée : adresse(s), modes alternatifs, et comblez les zones d’incertitude ;
en cas de renonciation, privilégiez l’envoi en LRAR mais doublez ce geste par d’autres moyens (courriel avec accusé, remise contre signature, acte d’huissier) ;
consignez toutes les diligences menées pour informer le cocontractant : recherches d’adresse, envois successifs, appels téléphoniques, tentatives de remise ;
anticipez l’impact sur le passif en coordonnant les services juridiques et comptables afin d’homogénéiser la prise en charge d’éventuelles indemnités ;
dans les situations sensibles (procédure collective imminente, montants importants), n’hésitez pas à recourir à l’huissier pour un acte de notification irréfutable.
Ces mesures combinées renforcent la position de l’entreprise et réduisent les zones d’incertitude susceptibles d’alimenter un contentieux.
Un équilibre pragmatique mais exigeant
La décision relative à la LRAR et à la renonciation traduit une volonté de concilier efficacité de l’acte de gestion et protection du destinataire. Elle confère, sur le plan pratique, une portée certaine à l’envoi recommandé ; toutefois, elle ne dispense pas les acteurs de leur devoir de prudence.
Pour le conseil, l’essentiel est de conjuguer une rédaction contractuelle précise, une mise en œuvre diligente et une documentation exhaustive des diligences. C’est ainsi que l’on assure, simultanément, la sécurité juridique des cocontractants et l’efficacité opérationnelle de l’entreprise.
FAQ — renonciation à la clause de non-concurrence et LRAR
Qu’est-ce qu’une renonciation valablement notifiée ?
Une renonciation est l’acte par lequel le bénéficiaire d’une clause décide unilatéralement d’y renoncer. Pour être « valablement notifiée », l’acte doit permettre à l’autre partie de connaître la volonté de l’expéditeur dans les conditions et délais prévus par le contrat. L’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception reste la pratique usuelle : il matérialise la volonté d’informer et fixe un point de départ temporel.
Lorsqu’il s’agit d’un acte de gestion ou d’information (non contentieux), la jurisprudence admet que l’envoi suffit à produire l’effet attendu, même sans retrait. En revanche, lorsque le contrat impose une condition particulière ou qu’il s’agit d’un acte procédural, la preuve de la réception peut être requise.
La LRAR est-elle toujours suffisante pour renoncer ?
Non, pas systématiquement. La LRAR possède une forte valeur probante, mais sa suffisance dépend du contexte contractuel et juridique :
si la clause précise la LRAR comme modalité unique, l’envoi constitue en principe un moyen valable ;
si le contrat impose une adresse précise, un formalisme strict ou des modalités alternatives, il faut s’y conformer ;
si l’acte est de nature contentieuse ou si la date précise de prise d’effet est contestée, il est prudent d’obtenir une remise effective (remise contre décharge ou acte d’huissier).En pratique, la LRAR est un point de départ ; il est recommandé de l’accompagner d’autres preuves.
Que faire si la LRAR revient « destinataire inconnu » ?
Si la lettre recommandée est retournée, la décision n’est pas nécessairement invalide mais le risque de contestation augmente. Il convient alors de :
documenter le retour (mention postale) ;
rechercher une adresse mise à jour (registre des décisions sociales, adresse professionnelle, avocat, huissier) ;
procéder à un envoi alternatif (courriel recommandé, remise contre signature) et/ou signifier l’acte par huissier ;
conserver un dossier complet de toutes les diligences entreprises.Ces mesures renforcent la preuve d’une volonté sérieuse d’informer et limitent les risques en cas de litige.
Quelles diligences complémentaires mettre en œuvre systématiquement ?
Pour sécuriser la procédure :
conserver bordereaux postaux, preuves d’envoi et copies de la LRAR ;
envoyer simultanément un courriel recommandé (ou mail avec accusé) et tenter une remise en main propre contre décharge ;
si le délai contractuel est court ou l’enjeu élevé, procéder à une signification par huissier ;
tenir un registre des démarches (appels, recherches d’adresse, courriers envoyés) et informer les fonctions comptables dès lors qu’une indemnité est susceptible d’être inscrite au passif.Ces diligences combinées réduisent la contestabilité de la renonciation.
Quelle influence la renonciation a-t-elle sur le passif d’une société en procédure collective ?
La reconnaissance d’une renonciation peut conditionner l’admission d’une créance indemnitaire au passif. Deux points sont déterminants :
la date d’effet de la renonciation (qui peut déterminer si la créance naît avant ou après l’ouverture de la procédure collective) ;
la preuve que la société a valablement manifesté sa volonté de renoncer.Afin d’éviter des contestations lors de l’examen des créances, il est essentiel de documenter l’ensemble des actes (notifications, diligences complémentaires, décision interne) et de coordonner la comptabilisation avec le département financier. En cas de montant important, le recours à une signification par huissier et l’archivage des preuves s’imposent pour sécuriser l’admission au passif.
