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Faillite personnelle du dirigeant : la Cour de cassation supprime l’exigence d’insuffisance d’actif

  • Photo du rédacteur: Le Bouard Avocats
    Le Bouard Avocats
  • 11 juil.
  • 5 min de lecture

L’essentiel à retenir de l’arrêt du 12 juin 2025


  • Le juge peut désormais prononcer la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer sans prouver l’insuffisance d’actif (art. L 653-4 et L 653-5 C. com.).

  • La sanction repose exclusivement sur la commission d’un fait fautif listé par la loi, indépendamment de la santé financière de la société.

  • Le comblement de passif (art. L 651-2 C. com.) reste un régime distinct : il exige toujours un déficit chiffré et une faute de gestion.

  • Dirigeants et conseils doivent renforcer la gouvernance, la tenue comptable et la traçabilité pour prévenir toute mise en cause personnelle.





Le 12 juin 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 24-13 566) qui modifiera durablement la gestion des procédures collectives : désormais, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer contre un dirigeant sans avoir à démontrer l’insuffisance d’actif de la société.


Pour les chefs d’entreprise, cette clarification impose d’anticiper plus tôt la mise en cause éventuelle de leurs responsabilités.




Une évolution jurisprudentielle majeure pour les entreprises en difficulté


Longtemps, les praticiens estimaient que l’absence d’insuffisance d’actif constituait un rempart implicite, sinon juridique, contre les sanctions personnelles. Cette croyance reposait moins sur la lettre des textes que sur une interprétation prudente des tribunaux du fond.


L’arrêt du 12 juin 2025 referme ce débat : il apporte une lecture littérale des articles L 653-4 et L 653-5 du Code de commerce et rappelle qu’ils forment un régime purement comportemental. Autrement dit :


  • le juge se concentre sur les fautes listées par la loi ;

  • la situation financière de l’entreprise devient indifférente à la sanction, sauf si l’on cherche à mettre le dirigeant à contribution pour combler le passif (L 651-2).


Qu’est-ce que la faillite personnelle ?


La faillite personnelle prive le dirigeant, pour une durée déterminée (jusqu’à quinze ans), du droit de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou artisanale, ainsi que toute personne morale.


Elle peut s’accompagner d’une interdiction de voter aux assemblées ou d’exercer certaines fonctions électives. Même allégée par la pratique, cette mesure reste perçue comme une mort civile dans le monde des affaires ; son prononcé a donc un impact réputationnel immédiat. Il est recommandé de faire appel à un avocat en droit des affaires et des procédures collectives pour assurer ses droits et prendre les bonnes décisions.


Le cadre légal : rappel des articles L 653-4, L 653-5 et L 651-2 du Code de commerce


Les fondements de la sanction personnelle


Les articles L 653-4 et L 653-5 énumèrent de façon exhaustive les comportements répréhensibles :


  • Dispersion des actifs : avoir disposé des biens sociaux comme des siens propres.

  • Confusion de patrimoines : avoir masqué ses agissements sous le couvert de la personne morale.

  • Violation d’interdiction : avoir exercé une activité malgré une interdiction légale ou judiciaire.

  • Tenue irrégulière de comptabilité : avoir omis de tenir une comptabilité conforme ou d’en conserver les pièces.

  • Augmentation frauduleuse des dettes : avoir poursuivi une exploitation déficitaire dans une intention frauduleuse.

Point de vigilance : La liste est limitative ; le juge ne peut pas inventer de nouveaux griefs.

Responsabilité pour insuffisance d’actif : un régime distinct


L’article L 651-2 vise le « comblement de passif ». Il permet de condamner le dirigeant à supporter l’insuffisance d’actif si deux conditions cumulatives sont réunies :


  1. la liquidation judiciaire révèle un déficit définitif ;

  2. une faute de gestion y a contribué.


L’arrêt du 12 juin 2025 souligne que ces deux régimes ne se confondent jamais : la sanction personnelle (faillite ou interdiction de gérer) n’exige aucune démonstration comptable, tandis que le comblement de passif repose au contraire sur le chiffrage précis du déficit.


La décision du 12 juin 2025 : analyse des motifs


Les faits à l’origine du pourvoi


Un liquidateur sollicitait la faillite personnelle du gérant au motif que ce dernier avait désorganisé les comptes de la société. La cour d’appel avait rejeté sa demande, considérant que le liquidateur ne démontrait pas l’insuffisance d’actif. Saisie du pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt : en ajoutant une condition non écrite, les juges du fond ont violé la loi.



Le raisonnement de la Cour


  1. Application littérale des textes : les articles L 653-4 et L 653-5 ne visent jamais l’insuffisance d’actif.

  2. Autonomie des régimes : l’existence d’un déficit est pertinente uniquement pour L 651-2.

  3. Sévérité accrue : la protection du patrimoine des créanciers justifie une lecture stricte des fautes énumérées, indépendamment du résultat comptable.


Portée immédiate


Toute juridiction saisie d’une demande fondée sur L 653-4 ou L 653-5 doit désormais :


  • vérifier l’existence matérielle d’un des faits listés ;

  • s’abstenir d’exiger la preuve d’une insuffisance d’actif ;

  • motiver précisément sur le choix de la durée et l’étendue de la sanction.


Conséquences pratiques pour les dirigeants et les liquidateurs


Pour les dirigeants : renforcer la gouvernance en amont


Les chefs d’entreprise devraient envisager les mesures suivantes :


  • Audit préventif des procédures de signature et de trésorerie afin d’éviter toute confusion de patrimoines.

  • Tenue rigoureuse des livres comptables, avec archivage numérique sécurisé.

  • Formation régulière des équipes financières sur les règles afférentes à la cessation des paiements.

  • Mise en place d’un comité des risques chargé de signaler toute dérive susceptible d’entrer dans le champ des articles L 653-4 ou L 653-5.


Pour les organes de la procédure collective : stratégie contentieuse simplifiée



Les mandataires et le ministère public gagnent en efficacité :


  • plus besoin de produire un bilan détaillé ;

  • possibilité de cibler très tôt les actes fautifs, même lorsque les comptes de la société ne sont pas encore arrêtés ;

  • procédure plus rapide devant le tribunal, donc protection accrue des créanciers.


Gestion de la défense : quels arguments restent pertinents ?


Désormais, l’argument « il n’y a pas d’insuffisance d’actif » est inopérant. Le dirigeant mis en cause devra plutôt :


  • contester la matérialité des faits reprochés (ex. justifier l’absence de confusion de patrimoine) ;

  • démontrer l’existence d’une délégation de pouvoirs effective ;

  • prouver l’intervention d’un tiers de droit ou de fait pour se décharger.


Bonnes pratiques pour limiter le risque de faillite personnelle du dirigeant


Mettre à jour la cartographie des risques


  • recenser les actes susceptibles de tomber sous L 653-4/L 653-5 ;

  • identifier les points de contrôle ;

  • désigner un référent conformité.


Adopter une politique documentaire stricte


  • conserver les pièces comptables dix ans ;

  • établir des procès-verbaux détaillés des décisions de gestion ;

  • tracer chaque flux financier au sein du groupe.


Anticiper la difficulté


  • déclarer sans délai l’état de cessation des paiements (quinze jours maximum) ;

  • privilégier la conciliation ou le mandat ad hoc pour sécuriser la gouvernance ;

  • solliciter un conseil spécialisé dès les premiers signaux de crise.


Un rappel à l’ordre pour la gouvernance d’entreprise


En écartant l’exigence d’insuffisance d’actif, la Cour de cassation recentre la faillite personnelle sur ce qu’elle a toujours voulu être : une sanction morale et préventive. Les chefs d’entreprise ne peuvent plus compter sur une trésorerie saine pour échapper à la stigmatisation attachée à cette mesure.


Seule une gestion « au cordeau », documentée et transparente, permettra de traverser sans encombre une procédure collective.


En résumé


  • Décision clé : Cass. com., 12 juin 2025, n° 24-13 566.

  • Principe : la faillite personnelle du dirigeant n’exige plus la preuve d’une insuffisance d’actif.

  • Action : renforcer immédiatement les procédures internes pour prévenir tout comportement visé par L 653-4 ou L 653-5.


En tenant compte de cette jurisprudence, les dirigeants proactifs transformeront une contrainte en opportunité : celle de structurer enfin une gouvernance robuste, à l’abri des fautes sanctionnables, et de rassurer investisseurs comme créanciers sur la solidité de leurs pratiques.

 
 
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